Karminsky Grad ou quand le cinéaste Jean-Jacques Rousseau atomise Charleroi

écrit par Anonyme (non vérifié)
le 03/01/2010

KARMINSKY GRAD OU QUAND LE CINEASTE JEAN-JACQUES ROUSSEAU ATOMISE CHARLEROI !

Marchienne-au-Pont, les anciennes usines Cockerill. La porte s’ouvre. Dans les vastes hangars, une équipe s’affaire : tirer des fils et câbles électriques pour les projecteurs, transporter du matériel, porter du bois pour allumer le feu dans les anciennes forges ; un groupe épars d’hommes et de femmes lient connaissance. Au bar, un jeune homme, organisateur et responsable du lieu leur prépare un café. Lui, c’est Mickaël Sacchi. Il m’explique l’historique du lieu : racheté en 2005 à Cockerill qui devait abattre les bâtiments par une A.S.B.L à finalité socio- culturelle, qui deviendra Rockerill, les espaces sidérurgiques de la Providence sont aujourd’hui dédiés à des ateliers et des expositions de sculpteurs et de plasticiens, à une scène rock, au théâtre, à la danse ( Charleroi Danse)et à la collaboration avec divers artistes. Comme aujourd’hui cette équipe en mouvement qui est celle du cinéaste de l’absurde- comme il se nomme lui- même- Jean- Jacques Rousseau et de son groupe d’acteurs en tournage pour « Karminsky Grad ».
Evelyne Scrève, proche collaboratrice du réalisateur, m’explique les prémices de ce film : « Au départ il y a la venue en Belgique du beau- père de l’éclairagiste Marc Gooris, et sa proposition saugrenue de filmer un vrai russe dans un cinéma qui regorge de communistes ! ». Voici donc cet homme, Vladimir Karminsky, venu de Moscou projeté dans une fiction à Charleroi. Il joue le directeur d’une usine où le personnel se rebelle et le tue.
Autour de ce fait et de ces images tournées en deux jours de villégiature belge, le cinéaste écrira une histoire effrayante. Ce jour- là de décembre 2009 on filme deux scènes du film à Rockerill : dans le huit clos de cette usine sévit un pouvoir totalitaire représenté par une colonelle femme entourée de soldats de l’armée rouge. Les ouvrières employées s’épuisent à la construction d’une bombe nucléaire. Vu les conditions de travail et la misérable gamelle qui les nourrit : des boîtes d’aliments pour chien, les ouvrières entrent en conflit ouvert avec les autorités qui gouvernent l’usine. Pour calmer cette émeute on propose de leur offrir en pâture un spectacle : un combat de catch ! Celui- ci est truqué puisque le favori des « décideurs » sort une arme et perfore littéralement l’abdomen de «l’idole » des ouvrières. Scènes de violence, de cris, de rébellion et barricade, de torture même. Evelyne précise que cette fiction est la suite d’un film tourné en 2000, « Le goulag de la terreur » dans lequel certains personnages apparaissent déjà, notamment Yaboutich, sorte de démon du cinéaste, interprété par Noël Godin(le célèbre entarteur belge).
Il y a là dans ces anciennes forges, « cet endroit fertile, où rougeoie encore la mémoire du passé », dans cette usine « désuète »,un hommage pour le cinéaste « à des amis, des ferronniers qui travaillaient ici à la Providence dans les années 50- 60. », il y a là le réel ouvrage d’un cinéaste qui élabore son œuvre à la grâce d’opportunités et de réflexions, pensée et hasard combinés tel un jeu de dominos. Jean- Jacques Rousseau «depuis longtemps avait envie de faire un film sur le reaganisme, dans les années où cet acteur, Ronald Reagan, était au pouvoir aux Etats- Unis, et sur les conflits entre russes et américains. Avec le temps cette opposition s’est calmée et apaisée, aujourd’hui les russes arrivent en Europe en masse… des ukrainiens. » Le cinéaste a imaginé « que les russes viendraient exploiter une usine à Charleroi…mais une usine de quoi ? Le nucléaire est un danger omniprésent, « dont on minimise les faits quand c’est pour nous et dont on augmente l’ampleur quand c’est à l’extérieur, et de plus c’était l’anniversaire de la bombe de Hiroshima et de celle de Nagasaki en août 1945. J’avais la possibilité qu’un ami, Franco, me construise un modèle de la bombe de Hiroshima, à l’échelle 1/1. Une emblème. » Donc l’usine sera le lieu de fabrication d’une bombe atomique, voilà la tâche de ces ouvrières malmenées. « Quant à Karminsky, j’avais trouvé ce nom dans un livre. Lors des invasions nazies en 41-42 en Russie, Karminsky était un fanatique polonais qui avait été victime des bolchéviques après la révolution de 17 et dont la famille avait été entièrement exterminée par les soviets. A l’arrivée des allemands en Russie, il est devenu officier russe SS, un vrai tyran machiavélique. Et Grad, tout comme Stalin-Grad, qui veut dire ville. » Voilà l’ensemble des pièces qui vont composer le scénario.
Quant à la technique c’est à une véritable chorégraphie que j’assiste : la caméra Steadicam TM «tourne autour des acteurs comme un oiseau ». Sammy Hermand, l'opérateur Steadicam, apporte les informations suivantes :" une fois l'appareil mis au point, Garrett Brown (inventeur du Steadicam) l'expérimente sur des tournages de publicités, puis vient le tour du cinéma avec le film Marathon Man de John Schlesinger en 1976 et Rocky de John G. Avildsen la même année. Il faut attendre le film Bound for Glory de Hal Ashby, toujours en 1976, pour que Brown tourne un premier plan-séquence muni de son invention. Viendra ensuite le film The Shining de Stanley Kubrick (dont Jean- Jacques Rousseau admire l’œuvre)en 1980, où Kubrick en fera une utilisation privilégiée. Elle a la particularité de rester toujours à niveau grâce à un système de stabilisation isoelastique ou isopneumatique selon les modèles. Il n’y a donc pas de mouvement intempestif, l’image reste stable même lors d’une poursuite. Mais son poids de vingt kilos nécessite un opérateur costaud ! » Jean- Jacques Rousseau quant à lui utilise une caméra DV 3 capteurs couleurs de même qualité que la Stédicam, pour favoriser le montage des images. Le maquilleur, Francis Wuillot, magicien à d’autres heures, transfigurent les traits et les visages des hommes et femmes de la rue venus joués à l’acteur. Lambeaux de peau, brûlure et cicatrices puisque cette bombe finira par exploser sur la ville de Charleroi…Charleroi qui est le terroir, le paysage de ce cinéma, un cinéma populaire né et issu de cette région, aux accents carolo, principalement porté par des acteurs amateurs du cru. L’acteur, Jean- Jacques Rousseau le préfère livré à son instinct. Comme il est lui- même l’auteur des films qu’il réalise, il dépose le scénario de départ à la Sabam, ce qui le protège, et il peut ainsi rester totalement libre de changement et de modification dans l’histoire, totalement poreux et ouvert aussi à ce qui se passera d’incongru ou de fortuit durant le tournage de même qu’aux propositions des acteurs, leur parler et leur langage quotidien aussi. A côté de ces acteurs « improvisés », il y a également une « galaxie » Rousseau, une équipe de fidèles qui le suit et l’accompagne au fil des films et des tournages : Evelyne Scrève, ancienne enseignante, qui est collaboratrice et actrice, Amaury Haegeman, assistant, créateur de son site, acteur pour un film aussi. D’autres qui viennent et reviennent : Pierre S. et Bella et Jean- Marc et Catherine…Et puis des artistes d’autres disciplines qui soutiennent l’itinéraire du cinéaste en participant et jouant le jeu d’être acteurs : Noël Godin, André Stas, Nadine Monfils…
Mais qui est donc cet atypique réalisateur belge, Jean- Jacques Rousseau ? vous le saurez au prochain épisode, rendez- vous en 2010 !

M.V

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