Ecrire en mots et en couleurs : les ateliers pour enfants de l'asbl Nota Bene

écrit par Anonyme (non vérifié)
le 08/06/2010

Samedi de soleil et de lumière.
Le téléphone sonne : une voix aux accents du Sud m’informe que des visiteurs de Namur et de la Capitale belge vont arriver dans la commune de Stoumont, et débarquer chez le peintre Roua pour voir ses peintures.
Rendez- vous y est fixé. Je suis le tracé de la route jusqu’à Lorcé, battements de cœur printannier et croisement de mollets cyclistes ! Je me réjouis de cette rencontre insolite : Jean- Paul Henkès( la voix aux accents toulousains)- animateur d’ateliers d’écriture dans les écoles de Gouvy, Stavelot, Malmédy et Vielsalm- le peintre Roua, à qui il a confié la dernière séance de son cycle d’ateliers scolaires et qui a offert à quatre cent cinquante enfants des écoles, répartis en onze groupes, le spectacle d’une performance unique : pendant une heure trente sous leurs yeux il peint un tableau qui s’insérera dans un ensemble de douze toiles. Tableau d’inspiration personnelle qui sera complété par l’intervention colorée de certains élèves. Quant aux visiteurs du samedi, ils sont les membres de l’Hystéro Collectif…oui vous savez, les créateurs de Jean d’Anonyme, cette statue blanche, homme anonyme au doigt pointé de désarroi et de questionnement sur sa propre tempe, et à l’attaché-caisse posé à ses pieds. Ben…qu’est- ce qu’ils viennent se perdre ici ceux- là d’là ville ?!...il paraît que Jean d’Anonyme après ses sorties de Namur, Place du Grognon et de Bruxelles, rue de la Loi et tour de la ville, était gris de fatigue et avait besoin de prendre un peu l’air. Aussi est- il venu se perdre dans nos campagnes ardennaises et il a déposé valise à Vielsalm, sous le kiosque du Parc.
Je prends donc la route qui monte au village de Chession que je découvre, magnifique sur ses hauteurs. La demeure de Roua est ouverte à la lumière et à l’étendue du paysage. Gainsbourg chantonne « Sorry Angel » et les couleurs des tableaux ne peuvent manquer d’attirer mes regards. Jean- Paul Henkès, casquette blanche sur la tête, me resitue les étapes de son projet d’animation. Originaire de Toulouse, débarqué au milieu des sapins des Ardennes belges, il fonde l’ASBL Nota Bene, à Vielsalm. Depuis 2002, plus de mille deux cents enfants des écoles de la région ont participé aux ateliers d’écriture qu’il donne. La première année a été auto- financée par l’ASBL elle- même. Puis de 2003 à 2006, les projets d’ateliers d’écriture ont reçu le soutien des bibliothèques et ont été financés par la Lecture Publique. L’évolution s’est poursuivie puisqu’à partir de 2006, les ateliers d’écriture créative sont organisés en six séances de deux heures étalées sur l’année scolaire, financés par la Communauté française de Belgique selon le décret Cultures- Ecoles, avec une animation culturelle extérieure de fin de cycle. Au fil des ans, les différents enfants participants ont donc eu la chance de vivre une après- midi festive avec Kungu Luziamu et les tambours africains, une découverte du Château de Reinhardstein avec Gaétan Plein et Mizé Teixeira, une création radiophonique avec Maxime Coton et cette année : une création picturale instantanée avec le peintre Roua. Nota Bene est également un espace culturel pour l’accueil de concerts et de musiciens, d’ateliers d’écriture à l’usage des adultes, de stages pour enfants à la découverte de multiples activités et disciplines artistiques et d’expositions en arts plastiques.
Cette année il a abordé avec plusieurs centaines d’enfants l’univers des fées et des elfes. Comme à son habitude il a inventé pour deux personnages, Lili et Pépito, une histoire par séquence, d’un atelier à l’autre, qui se complète des textes écrits par les enfants eux- mêmes. Il insère également dans le récit des éléments qui sont des échos des thèmes et des expositions qu’il visitera avec les enfants, à l’espace Mon’Art de l’Abbaye de Malmédy et à l’Espace Nota Bene de Vielsalm. Une particularité des ateliers de Jean- Paul Henkès est le support et le recourt systématique à l’art et aux artistes. Découverte et approche d’une sensibilité autre que celle probablement développée sur les bancs de l’école…Aussi lorsque je suis allée à la salle Saint- Christophe de l’Abbaye de Malmédy, pour assister à un atelier classique d’écriture en compagnie des élèves de l’Athénée Royal de Malmédy, j’ai découvert sous un drap de lit fleuri une toile insolite de Roua, un personnage né de l’observation- méditation d’une souche de bois. Comme dans cet épisode, Lili est amoureuse du roi des Glands, Matouflé, le premier exercice d’écriture consiste à écrire dans un grand cœur : « Qu’y a-t-il dans ton cœur ? ». Le groupe d’enfants, nommé Fraternité des Elfes, plonge crayon à la main dans son cœur et des perles de textes sont lues sans timidité aucune à l’ensemble des condisciples. Il n’y a ici aucune moquerie, aucun jugement et l’invention des enfants se décline joyeusement, avec émotion parfois, pudeur aussi, comme chez Eros (le bien nommé !) qui hier a eu son anniversaire et murmure gomme à la main : « Dans le cœur de Eros… c’est personnel ! ». Laurine à mes côtés m’explique que lors d’un précédent atelier chaque enfant a rédigé un texte-message et est allé le déposer dans le creux d’un arbre qui est l’entrée du berceau d’Elfamore. Les enfants quittent l’étage pour aller admirer les œuvres exposées au sous- sol. Cette visite fait partie de l’échange du lieu accordé à Jean- Paul Henkès. La dame de l’accueil est surprise et heureuse « qu’enfin des enfants de la région viennent visiter le lieu et les œuvres de l’artiste exposé ! » Chacun choisit un tableau du peintre Robert Schaus, travail sur le bois, et lui donnera ensuite une interprétation personnelle sur le papier : « Que nous raconte la forêt dans les traces qu’elle laisse sur le bois ? » L’institutrice, Francine Linze, est ravie de l’apport et de la qualité des ateliers. Depuis quelques années elle est en demande de cette participation d’un professionnel de l’animation et de l’écrit. « Comme moi l’écriture n’est pas mon point fort, j’applaudis l’arrivée de Jean- Paul Henkès, et j’assiste chaque fois à l’épanouissement des émotions de chaque enfant. Après les séances, l’écoute et l’ouverture des enfants au monde de chacun est sensible. » La séance se termine par une comptine écrite puis chantonnée. De nouveaux personnages, Elfe ou fée, font leur apparition. Sans aucun doute ils viendront se greffer à l’histoire en élaboration dont le projet final est la compilation de tous les textes…cent cinquante pages ! Chaque enfant gardera donc le souvenir de cet atelier d’Elfamore grâce à ce livre imprimé par l’imprimerie Jean- Pierre Winandy.
J’ai assisté à un autre atelier, la dernière séance des enfants de Ville du Bois et des villages environnants de Vielsalm à la maison- mère cette fois, l’Espace Nota Bene. En prenant la route de Vielsalm en voiture, j’entends à la radio que c’est aujourd’hui le jour des enfants disparus. Pensée silencieuse et émue pour les deux petites filles aujourd’hui disparues : Julie et Mélissa. Jour de reportage bien choisi, commémoration pour moi. Je vais à la rencontre d’enfants de onze ans, plein de vie, plein de demain et d’espérance…A mon arrivée, Clara, une petite fille au chapeau blanc me propose une chaise pour m’asseoir. « Pas à côté de moi, murmure-t-elle, car il y a quelqu’un d’invisible. » Sourire de connivence, un doigt posé sur nos bouches de secret.
« Vous vous demandez ce que nous ommes venus faire là ? » leur sourit l’animateur. Et son comparse du jour, Roua, acquiesce ! Jusqu’à présent les enfants ont vus des tableaux réalisés. Aujourd’hui, grande surprise, sous leurs yeux, le peintre va élaborer dessin et couleurs. Il revêt son tablier blanc, son petit chapeau, et appelle quelques enfants à participer activement à la toile. Il explique le principe de la gravure, remontant jusqu’à la période des hommes des cavernes ! Mais ce jour de 2010 à Vielsalm, c’est de gravure ardennaise dont il est question : sur une pomme de terre, chacun taille une forme. Il explique aussi le principe des couleurs : jaune, rouge et bleu qui sont les trois couleurs de base. La particularité de Roua est de mélanger les couleurs non sur une palette au préalable mais à même la toile. Cela lui donne à chaque mélange une surprise à savourer !
Pendant l’heure trente de cette réalisation picturale, les différentes interprétations vont bon train. L’accompagnatrice, Nathalie, s’exclame tout à coup qu’elle s’imagine regarder à travers les vitraux un coucher de soleil. On définit les notions d’abstrait et de figuratif. Roua précise que le plaisir de peindre est pour lui primordial. Il nomme ses ustensiles. Le fusain prend ainsi un visage ! La laque vient sur la toile fixer les couleurs. Clara, Alexis, Isé et les autres regardent, s’approchent, supposent…et apprécient sans interprétation aucune aussi ! Regarder et apprécier est un art…
Il y a une pause prévue…surprise à l’extérieur : « une mystérieuse apparition dans le parc cette nuit, venez voir ! » Et oui, Jean d’Anonyme est là !!! sous le kiosque, il se repose au vert semble-t-il. Les enfants le regardent, le comprennent, l’imitent.
A leur retour à l’atelier, Roua est face à une toile colorée, réalisée, fin prête. Aussi invite-t-il les petits peintres du jour à apposer leur gravure de pomme de terre sur les couleurs.
Ce samedi, chez lui à Chession, les onze toiles trônent dans l’espace lumineux. « On pourra les admirer le treize juin…tiens donc : votez et puis venir se changer la tête et les couleurs » rit-il.
(dernièrement un artiste plasticien mettait en garde contre l’emprisonnement des couleurs par les partis politiques…). « A partir de trois couleurs fondamentales, que chacun prenne conscience de l’infinie diversité qui peut naître…Au départ il y avait des tons froids, puis les tons chauds ont pris le pas. Les gravures- sculptures de pomme de terre permettaient aux enfants de participer activement. Je leur ai demandé de les disposer pour qu’elles jouent entre éloignement et rapprochement. Dans quel monde veux- tu vivre ? peut- on demander face aux toiles » termine le peintre, content de l’expérience.
Les membres de l’Hystéro- collectif sont les premiers à admirer l’œuvre collective des écoles. Et le paysage ardennais ! Ce jour, Luc Broché est venu avec sa troupe de complices rechercher son fiston de plâtre pour rentrer à la maison Bruxelles… et en bonne fraternité artistique, il a décidé de passer saluer son confrère- artiste, le peintre Roua. Petit secret : son véritable prénom est l’homonyme du fiston de plâtre… alors !
Jean- Paul, silencieux, pose son regard sur les tableaux , sur les êtres réunis, par les soins d’un projet artistique et humain qui voyage et emmène loin, dedans soi et à la découverte des autres.
Vous pourrez admirer cette fresque collective du peintre Roua et de tous les enfants des 5 ième et 6 ième primaires de Vielsalm, Malmédy, Pont, Bellevaux, Francorchamps et Hochay à l’Espace Nota Bene de Vielsalm ce vendredi 11 juin à 18h30 pour le vernissage, le samedi 12 juin de 10 h à 16 h et le dimanche de 14 h à 18 h.
M.V
(remerciements à Barbara Laurent et J-P Henkès pour les photos)

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