Hors cadre de Europalia Chine : une visite de Gao Xingjian en Belgique

écrit par Anonyme (non vérifié)
le 03/01/2010

C’est à l’initiative de madame Jeane Bastien, de la galerie Bastien Art à Bruxelles, que l’on doit la venue en Belgique de Gao Xingjian. Il y a en effet plus d’un an, elle contacte l’artiste pour lui proposer une exposition de ses encres dans la galerie Bastien Art de la rue de la Madeleine, à deux pas de la Grand Place. Vu l’incroyable palette de talents artistiques conjugués par ce seul et même homme, à la fois romancier (« La montagne de l’âme », roman avec lequel il obtient le Prix Nobel de littérature en 2000), metteur en scène, traducteur, critique littéraire, dramaturge et peintre, madame Bastien souhaite créer un évènement singulier qui honore ses multiples facettes. Elle s’adresse donc à Paul Dujardin, le directeur du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, et c’est ainsi le début d’une série d’étapes à organiser pour la venue de ce Prix Nobel de littérature. L’attente est longue dans les décisions… C’est que madame Bastien, courageusement et innocemment( !), a choisi pour cette visite la période d’Europalia Chine. Ce qui fait supposer à plus d’une personne quelque frilosité (voire le gel !) quant à l’acceptation de la venue en Belgique d’un homme qui a vécu la « rééducation » lors de la révolution culturelle de son pays ( pendant laquelle une partie de son œuvre a été brûlée), avant de quitter définitivement la Chine en 1987 pour s’installer en France avec le statut de réfugié politique. Petit grincement dans les rouages d’un festival soulignant les fastes culturels et artistiques de la Chine d’aujourd’hui!... Ou paradoxe attestant de la réalité dans cette juxtaposition Europalia Chine/Gao Xingjian. Finalement, contre tout découragement, différentes institutions dans les villes de Mons, Bruxelles et Liège vont allier leurs énergies pour honorer cette visite et en composer le menu avec plusieurs rendez- vous autour de la peinture, du théâtre et de la littérature. J’avais donc décidé de suivre cet évènement en me déplaçant dans les différentes villes. Le 14 décembre, je suis à Mons, à la Maison Folie, pour une lecture de sa pièce « Au bord de la vie » par la compagnie Sourous, suivie d’une rencontre entre Gao Xingjian et Emile Lansman, son premier éditeur de théâtre qui est belge. Gao Xingjian explique au public venu nombreux que cette pièce est la première qu’il a écrite en français en 1988. « Puisque j’étais déjà interdit en Chine, je n’avais plus de public là-bas », écrire en français s’est donc imposé comme « l’aventure de la langue ». Le metteur en scène du texte, Marcos Malavia, ajoute que, selon lui, « Gao Xingjian est un auteur-clé, et qu’un nouvel auteur amène avec lui un nouvel acteur et un nouveau théâtre, au même titre que Samuel Beckett ». L’auteur offre une si grande liberté dans une partition « musicale » d’une généreuse précision pour les acteurs. Ses pièces de théâtre sont novatrices et à la croisée des chants d’expérimentation entre le théâtre de l’Orient et celui de l’Occident, entre le moderne, le contemporain et les traditions d’un patrimoine culturel, comme l’opéra chinois.
Quand une personne de l’assistance pose finalement la question de la censure et de sa raison d’être, l’auteur évoque sa pièce « L’abribus ». C’est une situation absurde du quotidien : on attend un bus qui n’arrive pas... il n’y a aucun discours politique ! « Cette idée absurde est devenue objet de censure ». Rires dans la salle…et sur le visage de l’auteur.
Deux jours plus tard, sous un ciel de premières neiges dans la capitale, je pousse la porte de la galerie Bastien Art et découvre les dernières encres de Gao Xingjian. De petits formats spécialement conçus pour cette exposition. L’encre promène ses noirceurs et ses profondeurs sur le papier blanc, créant formes humaines effilées et paysages d’un monde en décomposition et soubresauts. L’auteur, peintre ce soir-là, est à côté de ses œuvres. Présence discrète et souriante tandis qu’il répond aux sollicitations des visiteurs. Jeane Bastien, la galeriste, qui a insufflé l’impulsion à cet audacieux périple belge, me montre copie d’un livre imprimé en Chine, qui reprend la chronologie des prix Nobel. L’année 2000… a disparu, l’année 2000 est manquante, elle n’existe pas ! En Chine actuellement les écrits et le nom de Gao Xingjian sont toujours lettre morte !
La nuit, la neige continuera sa chute, semblant poursuivre au dehors les traits des encres ou plutôt les espaces laissés vierges sur la toile. Le lendemain, je retrouve l’auteur au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour une rencontre autour de la littérature, avant que soit jouée la pièce entendue en lecture à Mons le premier soir, « Au bord de la vie ». Plusieurs réactions et prises de paroles du public soulignent bien le malaise ressenti ici en Europe par rapport au fossé entre les nouvelles formes de la création artistique (celles, notamment, données à voir en spectacle à Europalia) et le silence qui continue d’imprégner la personne et l’ouvrage de Gao Xingjian dans son pays d’origine.
Pour terminer cette visite belge, le musée d’art contemporain de la ville de Liège nous convie à admirer une série d’encres monumentales dans le palais du parc de la Boverie. C’est l’académie de Liège qui a été contactée et a elle- même choisi de s’adresser au Mamac. La séance du vernissage débute par la projection d’un film réalisé par le peintre lui- même, une forme qu’il nomme le ciné-poème : une œuvre picturale en mouvements et de grande dimension, où s’accouplent les encres filmées et la complicité des corps de danseurs.
Une rencontre à nouveau avec Gao Xingjian, sur l’esthétique en peinture, prolonge ce moment. Il adresse un clin d’œil aux artistes surréalistes belges Paul Delvaux et René Magritte qui, lui semble-t-il, dépasseront les époques et leurs modes. Il distingue son travail de peintre de celui des calligraphes (trop souvent confondus dès que l’on dit que l’on est chinois !) et souligne l’importance dans son parcours de la rencontre avec la peinture en Occident, et l’imminence pour lui de rompre avec un style jusqu’alors conditionné par la tradition chinoise.
Voilà, le grand « petit » homme a refermé la page de sa visite belge. Sa silhouette s’en est allée continuer à créer encore et toujours. Reste à prendre le temps d’une méditation devant ses encres.
Bruxelles, Galerie J.Bastien, exposition d’encres, "Et pourtant je suis peintre", jusqu’au 14 février. Du mardi au samedi de 11h à 18h30, dimanche de 11h à 13h. Infos : 02.513.25.63 et www.jbastien-art.be
Liège, musée d’Art moderne et contemporain, exposition d’encres monumentales, jusqu’au 15 janvier. Du mardi au samedi de 13h à 18h, le dimanche, de 11h à 16h30. De 3 à 5 €. Infos : 04.343.04.03 et www.mamac.be
Et aussi à lire : - La montagne de l’âme, L’Aube, 1995
-Au bord de la vie, Lansman, 1993

M.V

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