L’apprentissage de la philosophie pour les plus jeunes

Samedi matin à l’heure de la grasse matinée pour certains, en guise d’école buissonnière, Jeanne, Lucas, Zénon, Martin, Salim, Nicolas et Lucille vont partager un atelier de philosophie. Je pousse la porte de la librairie Livre aux Trésors, rue Sébastien- Laruelle à Liège. Les philosophes en herbe sont âgés de neuf à onze ans. Un parent les amène et s’éclipse rapidement et discrètement, c’est que l’atelier se veut ainsi : entre enfants non accompagnés de leur parent. Je rencontre d’emblée Denis, l’animateur de ce matin. Il fait partie de l’équipe de chercheurs de l’université de Liège ayant mis sur pied le projet initial : « La philosophie, m’explique Denis, est une discipline absente du cursus scolaire jusqu’à dix-huit ans. Nous voulions répondre à ce manque et faire de la philosophie en dehors des murs de l’université. La librairie était l’endroit idéal, un lieu pas lié à l’école. » Les enfants viennent ici pour se rencontrer et échanger une parole sur un thème , tout en apprenant les mécanismes argumentatifs. Jeanne est tout de rouge vêtue. Petit chaperon au milieu des piles de livres, elle me témoigne qu’elle est déjà venue, puis que sa maman lui ayant offert un livre de philosophie pour alimenter son intérêt de la première fois, elle a eu l’envie de revenir. Ses yeux brillent en entendant que j’écris des articles pour un magazine…elle rêve d’écrire un journal avec une amie ! Les enfants se retrouvent au fond de la librairie, assis en cercle. Chacun se présente et tous m’accueillent. Denis leur demande s’il y a un sujet qui les hante… « Chaque soir je réfléchis tout le temps pour écrire un roman. » dit Martin. Et Nicolas : « Moi les nombres négatifs, je ne comprends pas bien. » Jeanne avec un grand sourire : «Une fille à l’école qui raconte des choses sur moi qui ne sont pas vraies. » Nous cherchons un sujet de philosophie pour ce matin, l’animateur demande à Jeanne si mettre un mot sur un problème l’aide à réfléchir…Finalement le thème proposé par Denis est retenu par tous : l’école. On rappelle que la philosophie n’est pas la recherche de solution à l’égard d’un problème vécu par une seule personne. Mais peut- être en entendant les mots de ce matin Jeanne sera-t-elle épaulée dans son souci…
La question notée sur le tableau aide-mémoire est : l’école ça sert à quoi ? Chacun donne son avis et les réponses fusent : -se préparer à un métier, apprendre à se respecter, à vivre ensemble. Différentes notions viennent déjà étayer une même proposition, ce qui trouble Lucas qui visiblement n’a pas tout compris…ou plutôt il n’a pas retenu…ou plutôt il n’a pas écouté ce qui vient d’être dit. La compréhension et la mémoire sont- elles en lien ? La question est posée…Denis insiste pour que lorsqu’un mot est incompris- ce qu’il appelle « les grands mots »- chacun se permette de le signaler. On cherche des définitions de certains « grands mots » qui ont été dits depuis le début de la matinée. Pour Lucas, c’est « lacune »…il ne l’a pas compris ce « grand- là ». Le petit garçon se tient le ventre, il semble submergé de mots, les larmes aux yeux…et je pense qu’un gâteau au chocolat sans chocolat serait une terrible lacune ! (serait- ce une bonne définition monsieur l’animateur ?).L’atelier de philosophie c’est autant dire et travailler sur le fond, la thématique choisie, que la forme. On apprend ici aussi à nommer les différentes étapes dans sa prise de parole. Poser une question…c’est une question et pas autre chose ! On définit l’objection, on formule ses objections par rapport à ce qui a été dit. Les enfants jonglent avec les différents concepts évoqués. Sur le tableau, les énonciations quant à l’utilité de l’école colorent la surface noire. S’ajoutent à celles citées déjà : – à améliorer son savoir, à mieux comprendre les autres- à se faire des amis. Martin déclare alors que « avoir un métier c’est pas fait pour gagner des sous c’est pour se relier aux autres, donc à faire vivre une société. » Lucas objecte- votre honneur !- qu’avant l’invention de l’école des sociétés existaient déjà !
Une qualité est mise en avant par plusieurs pour que les intitulés du tableau ne restent pas lettre morte : la volonté ! Celle qu’on développe à l’école, au contact des parents et de la famille, pour que grandissent petites qualités et grandes envies.
L’heure tourne : déjà deux fois le tour de l’horloge depuis que le cercle s’est formé. Pour refermer la page de ce dernier atelier philo de cette année scolaire, Denis demande à tout un chacun une conclusion, une chose appréciée et une chose pas appréciée. L’ensemble des enfants décidément est plein d’élan positif quant aux apports bénéfiques de l’école ; les deux adultes quant à eux sont plus mitigés ! Quant à moi j’ai vraiment apprécié la formidable qualité d’écoute des enfants à l’égard de chacune des prises de parole.
Chacun se salue, sourire aux lèvres et les méninges visiblement en éveil pour aborder le week- end. Quelques mains s’attardent à caresser la couverture des livres au passage des rayonnages.
Si l’envie de faire un tour de piste des idées tente votre enfant, alors n’hésitez- pas, la librairie promet une suite à l’aventure philosophique. Contactez- les au : 04/250 38 46.
Marie-Laure Vrancken