Fanchon Daemers sur les pas de Guillaume Apollinaire.

le 15/09/2011
Fanchon Daemers sur les pas de Guillaume Apollinaire.

La petite histoire commencerait à une terrasse ensoleillée, ce samedi 3 septembre…et ce n’est pas peu dire à ce point de l’été pluvieux et d’expression orageuse. Banc de bois rue Neuve, l’homme est attablé chez l’épicier François, il marmonne, il chantonne. Il répète me dit-il son intervention musicale pour la soirée des agapes, clôture du colloque international « Apollinaire, poète en prose » qui avait lieu ces 2 et 3 septembre à Stavelot. Des passants descendent la pente douce de la rue, venus de l’Hôtel du Mal Aimé…sans doute ont-ils réglé la note laissée par le jeune homme lors de son séjour stavelotain, « ou plutôt par la négligence ou la disette de sa mère », affirme le chanteur en répétition, « puisque Guillaume était mineur encore cet été- là ! ». « Et j’entends siffler le train » hèle-t-il, le chanteur en casquette et pipe fumante, à l’adresse des passants. En effet le départ de ce rendez- vous insolite est sur l’esplanade devant l’abbaye : le petit train touristique de la ville acheminera les spectateurs- voyageurs. Les passants ne sont autre que les Amis de Guillaume venus d’ailleurs : Paris, France, Allemagne, j’entends aussi la langue anglaise, j’entends chanter la langue italienne. La bonne humeur sifflote et pète dans les rues de Stavelot, la bonne humeur est dans le cœur des amis du poète ! Départ imminent et avancé du petit train, pour la bonne raison du cœur : deux jeunes mariés vont emprunter les banquettes du même petit train pour un premier voyage de noce ! Destination première de la tribu des marcheurs : arrêt le long de la Haute Levée, suivez les guides attentives ! Marcher dans ce souffle quasi naissant de douceur solaire. A la croisée de deux chemins, un corps de femme au loin se démarque, vient à notre rencontre. De noir vêtue et bottines de marche. Entre réflexions de linguiste sur la chanson de geste, la défiance des aoûtats protégée par de hautes bottes et les appels gourmands des cèpes de Bordeaux, une voix s’élève : « Que deviendra mon cœur parmi ceux qui s’entr’aiment… » La voix, d’entrée de jeu poétique, m’a prise à la gorge, une émotion intense me fouette le visage comme une branche solidement enracinée. Il me souvient de ce « petit » corps de femme, la première fois, il y a des années, au Festival Voix de Femmes à Liège, au Cirque des Variétés. Je disais alors à mon voisin d’écoute : « dis, d’où vient-il cet étrange son ? » Et lui joyeusement de me surprendre : « eh bien ! du corps de femme devant toi ! Fanchon Daemers. Je retrouve à la croisée des chemins des bois à Stavelot cette émotion première. Elle avance et prends le chemin de l’autre côté, nous la suivons dans cet au- delà. « Je compose généralement en marchant et en chantant sur deux ou trois airs qui me sont venus naturellement. » disait le poète. C’est à cette invitation du rythme des pieds que l’artiste Fanchon nous convie. Un éventail de poèmes et de proses poétiques évoquent la relation intime qui reliait Apollinaire et la nature, sous les traits de la forêt des Ardennes. Dans les Ardennes de Belgique, un pied frôle un champignon, une bouche dévore une mûre tout juste trouvée, une sonnerie de téléphone résonne… d’anachronisme ! Les spectateurs retiennent leur souffle puis le silence devient caisse de résonnance aux mots du poème et à la voix de l’artiste en Herbe ! Arbres, sources et champignons déclinent leur visage dans la gamme des sonorités puissantes et fragiles que Fanchon Daemers fait éclore du plus profond d‘elle- même. Voix parlée, voix chantée s’alternent au gré des stations du paysage. Une scénographie superbement choisie par Fanchon, dans laquelle chaque spectateur viendra inscrire son propre angle de vue. Un spectacle d’une intelligence et d’une sensibilité parfaite. Un face à face avec des drèves élancées, une provocation dansée dans les hanches de l’artiste qui abritent des sons majestueux. Je retiendrai aussi l’assaut des guêpes sur le tissu tigré du vêtement de cette Amie spécialiste de Guillaume, Elle qui a procuré à Fanchon « les conseils scientifiques » : Claude Debon ! La bruyère se promène à la boutonnière de l’auditeur. A un arrêt, imprévisible « embuscade » : une collation : la tarte de la région : le waution et…la bouteille de pékêt délivrée par les soins personnels de l’artiste André Stas. Clin d’œil et conseil : la meilleure est de Flandres selon lui ! Un bon coup de pouce pour entonner ensemble la suite de la balade par un crâmignon chanté et cocasse. Les airelles font les dos se baisser et le plaisir du palais de quelque étranger. La valeur ajoutée de la balade-spectacle pour moi est, il est vrai, la présence d’accents venus d’ailleurs, l’étendue du paysage qui écoute et reçoit de plein fouet la générosité de Fanchon et les vers du poète. J’ai même imaginé que viendrait répondre à l’écho des amours de Apollinaire et Marèye du temps passé le défilé des mariés du jour à Stavelot ! Dans les bois ou sur la fagne de Bellaire. Un moment magique voit Fanchon enlacée dans les racines d’un arbre effondré. Cathédrale du cercle de terre et de bois d’où surgit « l’Ermite » du poète. Chaque spectateur a isolé son écoute dans une position, assise qui le comble. « Les doigts ennamourés » dans le vers se fondent dans l’espace ici présent aux frêles troncs de sapins s’élançant dans la lumière comme main au ciel. « Je chante la joie des possibilités de moi- même…je chante la joie d’errer »… dire que le spectacle est exigent aux muscles des jambes ! qu’il dévale jusqu’à la ville de Stavelot, le temps de déguster et cuver les vers ! En passant- terminant par le faix du diable. Là où me confie le chanteur du début de l’histoire : « nous avions quinze ans, courions sur la pierre en déclamant des poèmes…on nous prenait pour des fous…nous l’étions ! » Elle termine le dire du poète- là, Fanchon, dans la quasi invisibilité de son visage caché dans les branchages et la hauteur. Et l’aveu de l’ami de Guillaume à l’écoute de la Prophétie de Gwench’lan : « ça dans la lande bretonne Elle- Fanchon- ferait dix mille personnes en extase ! » Là, dans la forêt des Ardennes, cinquante ravis ! Reconnaissance à Françoise Servais, responsable du Centre Culturel, qui depuis le début à fait confiance au projet et à l’artiste Fanchon. Et la confiance ce samedi 3 septembre de rentrée était de soleil éclatant !
Marie- Laure Vrancken
photos de Pascal Van Der Plassche

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