Segnia et Houffalize, ses vieux métiers : l’horloger raccommodeur
Vient de paraître, le bulletin du Cercle d’Histoire et d’archéologie SEGNIA, de Houffalize.
Luc Nollomont, avec une rigueur sans faille, y signe un intéressant article intitulé : « Les Houffalois payent leurs contributions en 1815 ».
On s’en doute, bien des éléments de cette étude peuvent être appliqués, mutatis mutandis, aux communes circonvoisines.
On y trouve l’énumération de 54 citoyens houffalois payant un droit de patente. Très instructif pour connaître la nature des différents métiers, et les noms des artisans de l’époque.
Voici les métiers exercés :
2 cabaretiers
2 débitants de bières
7 débitants d’eau de vie
1 distillateur de grains
2 brasseurs
1 marchande de cuirs en détail
2 meuniers
3 maçons
2 plâtriers
6 charpentiers
1 cloutier
2 tailleur d’habits
3 tisserands
1 tanneur
1 bourrelier
3 cordonniers (dont 1 « cordonnière »)
3 revendeurs de viande «en ambulance »
1 horloger « racommodeur » (sic)
5 quincailliers
1 marchand de fer en détail
2 marchands de draps en détail
Sont-ce des métiers, ou des professions ?
1 huissier
2 médecins
Pour les noms et prénoms, une petite partie d’un fameux iceberg, on se rapportera à l’article de Luc Nollomont.
La messagerie Dislaire
Encore quelques lignes parmi les 21 pages écrites par Luc Nollomont sur le sujet.
L'historien signale qu’un certain Toussaint Dislaire était chargé de "porter" les monnaies circulant parmi la population houffaloise, après « la catastrophe que fut pour la France l’année 1815 dans son ensemble » (N.B. la défaite de Waterloo). Il s’agissait de les ramener à qui de droit, à Neufchâteau.
Voici une acceptation de mission telle que citée dans le bulletin de Segnia :
« Je soussigné Toussaint Dislaire messager actuel de Houffalize déclare d’avoir reçu de Mr Choffray percepteur de Houffalize la somme de sept cents quatre fr trente neuf cmes quelle somme je m’oblige de transporter et compter endéans les trois jours à mes frais, risques et périls à Mr Magnette, receveur particulier à Neufchâteau et de lui en rapporter reçu et décharge en forme dans le même délai, le tout parmi salaire reçu, pour foi j’ai signé à Houffalize le 24 août 1815
(s) T : dislair "
Quelques commentaires
Précisons bien que ce qui suit est de la plume de l’auteur du présent article.
À lire le début de la liste des métiers, on peut se dire que les anciens Bordjeus ne buvaient pas que de l’eau de l’Ourthe : 14 personnes, plus du quart des gens, affectées au rinçage de dalle !
Toutes les femmes exerçant une profession (soumise au droit de patente) sont des veuves (avec l’ambiguïté d’un cloutier nommé « Claude Collette »).
Un Cordonnier était cabaretier (Monsieur Cordonnier tenait un cabaret).
Enfin, pour la fine bouche, une débitante de bière s’appelait « la veuve Schwantz ». Quand on sait que le Luxembourg était en grande partie germanophone ou germanisant, et que Schwanz désigne un pénis dans l’argot de la langue de Goethe, on peut penser au cocasse d’un estaminet à l’enseigne de « À la veuve Biroute ».
L’horloger raccommodeur
Épatant, pour jouer au « noms de métiers ».
Son activité se limitait à la réparation : il n’était donc pas « fabricateur », pour reprendre le terme utilisé alors.
Nous citons ici des articles de loi contraignant tant les horlogers que les horlogers raccommodeurs, sous le régime français (en application de lois de nivôse, brumaire, et floréal, on vous passe les quantièmes jours et les années)
« L’horloger est tenu d’inscrire sur un registre, au moment même où il les reçoit, les montres qui lui sont remises pour être raccommodées. Il ne peut s’excuser sur ce que l’omission doit être imputée à la négligence de son ouvrier.
Un horloger, ne fût-il que raccommodeur de montres, est tenu comme tout autre marchand et fabricant d’or, à peine d’amende, de tenir un registre sur lequel il doit inscrire les montres qui lui sont confiées, et être réparées. A défaut d’inscription sur ce registre, elles seront présumées sa propriété, et saisissables sur lui (ou confisquées) si elles ne sont pas revêtues du poinçon de garantie ».
Autrement dit, quand on portait une montre à réparer, il s’agissait de bien surveiller si elle était inscrite au registre. Sinon, en cas de mauvaise affaire de l’artisan, votre propre montre était saisie.
Les horlogers dans nos contrées
Lire l’heure avec une montre-bracelet est un acte récent.
Jadis, de rares personnes portaient une montre-gousset et les familles aisées, et elles seules, avaient une horloge, et une seule, souvent un chef-d’œuvre qui trônait dans ce qu’on n’appelait pas encore la salle de séjour.
D’un article que nous avons écrit et publié dans le journal « Arlon Carrefour » du 15 mai 1996, nous reprenons ce qui suit.
Le roi sacristain
C’est une ordonnance de l’empereur Joseph II (que Voltaire appelait « mon cousin le roi-sacristain", celui à qui l’abbaye de Houffalize doit sa désaffectation en 1884) qui imposa, nous a un jour confié Jean-Marie Strauss, un "vieil" érudit descendant d’un horloger émigré à l’époque, qu’une « machine à mesurer le temps » publique fût installée dans chaque village.
Des artisans horlogers autrichiens sont dès lors venus s’établir et prendre racine aux limites occidentales de la partie germanophone de l’empire, à la fin du XVIIIe siècle : ce métier n’existait pratiquement pas dans tout le duché de Luxembourg. Comme ils étaient unilingues, ils choisirent tout naturellement des lieux où on parlait encore leur langue, d’où il pouvaient rayonner dans le marché voisin lorrain et « wallon ».
C’était le siècle des Lumières
Vive le modernisme. Fini de se repérer par le chant du coq, le soleil au zénith, la fraîcheur de la vesprée !
Joseph II allait heurter les mentalités rurales aux confins de son empire, car sa décision allait coûter cher aux collectivités. Bouleverser les habitudes. Uniformiser. Standardiser. C’est dire si les horlogers formés aux écoles d'Autriche s’établirent dans un contexte de rejet social.
Avec le recul, on doit admettre que sans cette accommodation, d’autres innovations techniques auraient vu leurs effets compromis. On peut par exemple s’interroger sur l’efficience des chemins de fer dans notre économie, particulièrement dans le sud des deux Luxembourgs, si la population avait encore été ignorante de l’heure au milieu du XIXe siècle.
René Dislaire