Oroonoko ! : Tamara Van San et Rein Dufait, au Triangle Bleu de Stavelot

le 25/06/2012
Marie- Jeanne regard sur Rein Dufait

Oroonoko !
Tamara Van San
Oroonoko !
Rein Dufait
Deux expos-solos entrelacées par Hans Theys-critique d’art et curateur d’expositions-
À la Galerie Triangle Bleu- Cour de l’abbaye de Stavelot- du 3 juin au 29 juillet 2012.
Oroonoko ! est le cri de guerre poussé à l’unisson par les deux jeunes artistes, Tamara Van San et Rein Dufait, donnant généreusement aspérités aux murs de la galerie. Un dimanche rideau de pluie…idéale saison donc pour un vernissage, cocon du dedans et découverte d’artistes. Une jeune femme, veste jaune et chaussures vertes à talons, fume sur le seuil, devant la porte vitrée. Elle me salue entre deux bouffées nerveuses. J’entre, les couleurs et les volumes jaillissent : je ne suis pas seule ! Francine, la galeriste, toute souriante, me parle d’emblée de Rein, jeune étudiant de 23 ans… dont ce n’est pas la première exposition ! Son travail a rapidement été remarqué dans son cursus par Hans Theys qui l’a convié ici à exposer aux côtés de Tamara Van San. Tous deux sont flamands. La galerie une fois de plus déploie son audace à franchir les frontières pour rassembler et montrer les talents. Tamara, m’explique Francine, a quant à elle passé un temps de résidence aux Pays-Bas à S’Hertogenbosch pour faire naître les nombreuses créations qu’elle a accrochées sur les murs blancs de la grande salle, ou placées sous des vitrines hautes posées sur socle. Il s’agit pour elle d’aborder la céramique, sans que cette technique nous saute aux yeux. Francine sourit d’un entrelacement de longs filaments verts disposés sur le mur, presque grouillants et en mouvement, nommés spaghettis par Tamara. Je rejoins les deux artistes au centre de leurs œuvres comme rassemblés sur un radeau, se renforçant de la proximité des socles imposants. Nous échangeons quelques mots en anglais, plus timidement en français et en néerlandais. Rein vit à Oostende, il étudie à Gand. Tamara, la trentaine, travaille à Gand. A la question posée du moteur de leur geste créatif- y-a-t-il un thème ?- la réponse fuse- Oroonoko !- chez tous deux : « no theme no idea no concept »…alors quoi!? Une recherche d’équilibre entre formes et couleurs chez Tamara. Pour chaque projet elle re-cherche la technique adaptée. Elle ne connaissait pas l’élaboration de la céramique ni l’utilisation des fours de cuisson. Elle s’est appliquée à ce que la technique ne soit pas apparente. Pour avoir vu la céramique à travers des travaux d’artisanat essentiellement, je découvre un jeu de cache-cache épatant, qui apporte ludisme et force à la prouesse technique déployée. Chaque forme est affirmée, par abondance comme au départ d’un cœur solide. Propositions nettes comme des entrailles exposées à ciel ouvert et air ambiant, il y a une connotation sensuelle bien présente. L’artiste propose une intense expérience visuelle. Tamara me pointe du doigt la surface de vide laissée sous les socles, entre l’œuvre et le couvercle, même cette surface de vide est non conventionnelle ! Je suis restée longtemps dans cette première salle comme retenue par tant d’ardeurs vives. Comme densifiée par leur contact. Dimanche de pluie donc, et pourtant les visiteurs sont peu nombreux. J’apprécie habituellement dans l’espace de l’exposition et du vernissage de promener mon attention sur les regards des visiteurs, de m’attarder à comprendre leurs angles d’approche et de pensées. Ce paramètre- là ajoute à ma visite, faisant le lien entre les œuvres, l’artiste et le public ; rendant l’œuvre contemporaine aussi dans le temps de la rencontre et affirmant le rayonnement de l’œuvre-création sur le corps-présence- pensée du public. Tel visiteur que j’observe deviendra ensuite un personnage, un acteur du récit de ma venue à l’exposition. Je pense ne pas le choisir, il s’impose tant l’œuvre et lui font un seul tout indistinct, la matière et le regard. Ce dimanche le personnage est d’évidence Stéphane, le maître de service des lieux. Il transporte un plateau rond argenté chargé de verres. Sans doute est-il plus attentif aux œuvres puisque les visiteurs sont moins nombreux qu’à l’accoutumée. C’est lui qui doit pratiquement me pousser à dépasser la première salle, me donner l’impulsion d’aller voir l’autre solo, celui de Rein Dufait. Il le trouve étonnant! Stéphane me confie qu’il est présent à chaque vernissage de la galerie, depuis vingt ans pratiquement, d’abord sur la Place Saint- Remacle et à présent dans la cour de l’abbaye. Son oeil constitue à lui seul une véritable mémoire des lieux, un catalogue vécu de l’ensemble des œuvres présentées à la galerie ! Il est l’œil collectionneur.
Oroonoko !- Rein Dufait :
Seconde salle, celle de la baie vitrée donnant sur la rue pavée, même la surface de l’appui de fenêtre est occupée. Francine m’a avoué qu’un des deux camions n’avait pu être vidé de son contenu tant les deux artistes étaient prolifiques de leurs travaux. Je suis toujours curieuse du choix des emplacements, de la disposition, je suis toujours étonnée de la composition générale. J’aimerais petite souris me glisser dans ce moment- là, de secrète installation pragmatique et fourmillante de sens pour l’artiste. Une pièce frôle le plafond et oblige mon regard à tomber la tête et dérouler les vertèbres de la nuque. J’en ris de jubilation. Comme une grille blanche de soufflerie apparue une nuit, souterrain cherchant une échappée vers les hauteurs. Oroonoko ! Tout dans la salle véhicule une certaine fragilité, une plus grande mobilité-impermanence aussi après l’aplomb de la première salle d’entrée. J’éprouve comme une avancée en marche dans chaque œuvre placée là par Rein Dufait. Je ne parle pas de décompositon mais d’une transformation invisible et latente qui prendrait part à la présence de chaque œuvre. Il y a sous nos yeux un processus qui suit son cours. C’est pourquoi je demande à Rein « s’il a trouvé ainsi tel quel ce qui est exposé devant nous ? si l’acte de chercher, de la quête d’un objet est son ouvrage ? » Il me réponde qu’il intervient sur chacune des propositions qu’il fait, encore et encore par couches superposées, par reprises, par attentes et observation jusqu’à ce qu’il soit satisfait du résultat. Son intervention par coupure, découpe, hachage dévoilent souvent des composantes, ou des textures inattendues dans le chef de chaque objet choisi, trouvé, venu à lui.
Rein vit à Oostende, les flux et reflux des marées de la mer du Nord refoulent mille et un objets qu’il récupère et investit de ses gestes et de son souffle poétique. « C’est de la poésie pure » murmure un visiteur, le visage collé à un des aquariums que le jeune artiste a aussi récupéré et dont il se sert comme d’un globe. Stéphane, plateau en équilibre sur la main, parcourt encore la salle et sourit en clignant de l’œil devant sa pièce préférée : l’assise d’un siège- plateau noir- auréolé de petits cercles comme quartiers de lune ascendante, jaune. On remarquera une sculpture- pièce montée, donnant vue sur la tour extérieure de l’abbaye : un tube emplit de pots de peinture que Rein a transpercés afin que la peinture explose et dégouline par jets, stalactites en couches superposées, comme un mouvement qui n’en finit pas. Ainsi soit-il de son œuvre !
Sur le seuil, le maître des lieux lève un sourcil- Oroonoko !- puis l’autre- deux solos- vers le ciel- entrelacés.
Marie- Laure V.

  • Marie- Jeanne regard sur Rein Dufait
  • Rein Dufait
  • De Rein Dufait
  • De Tamara Van San
  • Un visiteur a travers socle
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