"Révolution Bande Dessinée", à "La Boverie", à Liège, jusqu'au 11 Juin

écrit par YvesCalbert
le 05/06/2017
(c) "Casterman"

Au sein d’une superbe écrin de verdure, le « Musée de la Boverie », fêtant le premier anniversaire de sa superbe rénovation, nous propose une exposition, qui se doit d’être visitée, d’ici le 11 juin inclus, par tous les passionnés de la BD, … mais pas seulement!

Organisée à l’initiative de la Ville de Liège et de Michel-Edouard Leclerc, collectionneur passionné, président du « Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la Culture », l’expo « 1975-1997: Révolution Bande Dessinée » nous offre un parcours de plus de 300 planches originales de dessinateurs argentin, français, italiens et belges, ayant publié leur créations au sein de « (A Suivre) » et/ou « Métal Hurlant », deux revues majeures qui bouleversèrent le « Neuvième Art », depuis le milieu des années ’70 jusqu’à la fin des années ’90.

Si ces deux magazines amenèrent un nouveau public, jeune, parfois contestataires de leur époque ou intéressés par le rock, une telle exposition se devait, dès la porte d’entrée franchie, de rendre un hommage particulier, à ceux que l’on peut considérer comme les « pères fondateurs » de la BD franco-belge et leurs succeseurs directs, tels « Hergé » (Georges Remy/1907-1983/avec deux planches originales d’ « On a marché sur la Lune », de « Tintin »), Edgard P. Jacobs (1904-1987/avec une planche originale de « La Marque jaune », de « Blake et Mortimer »), « Peyo » (Pierre Culliford /1928-1992/avec une planche originale de « La Flûte à six Schtroumpfs », de « Johan et Pirlouit »), « Morris » (Maurice de Bevere/1923-2001/et son « Lucky Luke »), André Franquin/ 1924-1997/et son « Gaston Lagaffe »), Jacques Martin (1921-2010/et son « Alix »), « Will » (Willy Maltaite/ 1927-2000/et ses « Tif et Tondu »), Raymond Marcherot (1924-2008/et son « Chlorophylle »), Maurice Tillieux (1921-1978/et son « Gil Jourdan »), Jean Graton (°1923/et son « Michel Vaillant »), "Hermann" (H. Huppen/°1938/et son « Comanche »), …, une sélection issue de la riche collection de planches originales d’albums mythiques, acquises par les « Musées de Liège ».

… Mais venons en au vif du sujet, grâce au commissaire de l’exposition, Jean-Baptiste Barbier, directeur associé de la galerie parisienne « Barbier & Mathon », spécialisée dans la bande dessinée, et à son scénographe, Éric Morin, qui, tous deux, nous offrent un intéressant vis-à-vis de « (A Suivre) »(Ed. « Casterman »/1975-1987) et « Métal Hurlant » (Ed. « Les Humanoïdes associés »/1978-1997), des agrandissements des couvertures de ces deux revues surplombant les planches originales, publiées entre 1975 et 1997, des auteurs mis à l’honneur, tels Enki Bilal, Yves Chaland, Serge Clerc, Didier Comès, Johan de Moor, Philippe Druillet, Philippe Geluck, Jean Giraud (« Gir », « Moebius »), André Juillard, Jacques de Loustal, Milo Manara, José Munoz, Benoît Peeters, Hugo Pratt, Etienne Robial, François Schuiten, Jean-Claude Servais, Benoît Sokal, Jacques Tardi, …

« Ces créateurs, en rupture avec les codes de leurs prédécesseurs et en revendiquant leur autonomie par rapport à la bande dessinée classique franco-belge que les auteurs, publiés dans « (A Suivre) » et « Métal Hurlant » ont assurément su proposer un renouvellement du genre » (Michel-Edouard Leclerc).

Certains, parmi eux, s’expriment tout au long de l’exposition, avec le concours d’une dizaine d’écrans vidéos, nous permettant de mieux ressentir leurs sentiments quant à leur travail ou quant à l’évolution, qu’ils revendiquent, de la BD. Ainsi, lors d’une de ses nombreuses interventions, François Scuiten (°1956/scénographe du musée « Train World » et de la station de métro « Porte de Hall », à Bruxelles, et de celle des « Arts et Métiers », à Paris/auteur, avec Benoît Peeters (°1956) au scénario, des « Cités obscures »/« Grand Prix de la Ville d’Angoulème » 2002/dessinateur de l’affiche de la présente exposition), nous dit: « En regardant Manara, l’Evêché de Tournai devait pousser des ‘gloups’, tout comme Monsieur Casterman (son éditeur, ndlr), déjà âgé et davantage concerné par l’édition de livres religieux ».

De fait, à proximité, l’on retrouve dix planches originales, certaines sulfureuses (comme celles dessinées en 1978, dévoilant un pénis en érection, un chanteur sur scène se masturbant sous son pantalon, une femme accroupie urinant sur un corps allongé au sol, …) signées Milo Manara (°1945), qui collabora d’ailleurs avec Frederico Fellini (1920-1993), pour la création d’affiches et l’écriture de scripts de films illustrant la Renaissance italienne des Borgia. Avec Manara, assurément, le fantasme déborde des limites communément admises.

Il est vrai qu’ici nous sommes dans la BD destinée aux adultes, bien loin de l’une des premières héroïnes de bandes dessinées, « Line », créée par Paul Cuvelier (1923-1978) ou de la conception qu’ « Hergé » avait de la BD, avec sa « Castafiore », une cantatrice assez corpulente, comme seul personnage féminin.

… Mais tout le talent de Manara s’exprime également dans des planches plus « sages », celles d’ « El Gaucho » (1995, N° 205 d’ « (A Suivre) » ou d’ « Un Eté indien » (1985, magazine « Corto »), toutes deux sur des scénarios de son compatriote Hugo Pratt (1927-1995), dont de nombreuses planches sont présentées au début de l’exposition.

Avec elles, nous ne pouvons que voyager, tant avec lui-même qu’avec son héros de papier, « Corto Maltèse », apparu en 1975, au sein de l’album « La Ballade de la Mer salée », qui lui offrit le « Prix de la meilleure Bande dessinée étrangère », au « Festival d’Angoulème » 1976.

Coment ne pas évoquer, non plus, Jean Giraud (alias « Moebius » ou « Gir »/1938-2012), qui collabora à différents films, tels « Alien » (Ridley Scott/USA-UK/1979/117′) et « Le cinqième Elément » (Luc Besson/ Fra./1997/126′). Créateur, avec Jean-Michel Charlier (1924-1989) au scénario, de « Blueberry » (1962), pour « Pilote », et membre -fondateur de « Métal hurlant » (1978), où il explore le thème de la métamorphose. De lui, Jean-Pierre Dionnet écrit: « Ce qu’il apporte est totalement neuf. Il a une manière de remplir l’image qui est totalement opposée à tous les canons de la BD. Un changement de style constant, pouvant aller du parodique à l’exquis, à l’angélique, dans la même histoire. »

Constatant la présence de très nombreuses planches nous en noir et blanc, laissons François Schuiten exprimer sa pensée: « Le noir et blanc va être, pour nous, l’occasion de nouvelles explorations narratives. Le noir et blanc c’est, quand de même, l »criture par excellence. On est tout nu. Il faut tout sortir. On est, ici, au coeur même de l’écriture. On est à l’os. C’est le rapport entre le texte et le trait, et cette espèce d’obligation de radicalité, de discipline, qui vous nettoye ».

« L’exposition retrace une période décisive de l’histoire de la bande dessinée, critique et s’ouvrant à un public nouveau. Une ère de liberté et de créativité, renouvelant les sujets et ouvrant la voie à de nouvelles narrations. Son parcours nous emmène sur les traces de ‘Métal Hurlant’ et de ‘(A Suivre)’, de ses auteurs, des relations étroites qu’ils entretiennent avec les autres formes artistiques et des infl uences dont ils sont l’origine. L’exposition nous plonge dans une aventure éditoriale, artistique et humaine, au cœur d’un univers créatif en ébullition » (c) « La Boverie ».

Illustrant ce qui précède, quant aux autres forles artisiques, signalons que certains auteurs, comme Jacques de Loustal (°1956/ »Coeurs de Sable », dans le Maroc des années ’30) et Philippe Geluck (°1954/dont le « Chat », créé, en noir et blanc, pour le quotidien « Le Soir », fut publié pour la première fois en couleurs par « (A Suivre) ») se retrouvent, désormais, régulièrement, à Bruxelles, lors de la « La Brafa Art Fair », exposant leurs toiles à un public de connaisseurs en art, prouvant que la BD peut dépasser le cadre des magazines et des albums.

Au sujet de la science fiction, fort prisée par les auteurs de « Métal hurlant », voici ce qu’Enki Bilal écrit: « La science-fiction, c’est une libération de l’imaginaire… Il y avait une sorte d’émulation, de compétition… C’était une aventure collective, on était bien, on voulait la vivre ensemble ».

D’autres évoquent la culture rock, comme Philippe Druillet (°1944), lauréat du « Grand-Prix d’Angoulème », en 1988: « On était une groupe rock, un groupe de rock graphique« , Philippe Manoeuvre (°1954), scénariste et journaliste, nous disant, via une vidéo:« Celui qui aime le rock, aime la BD. C’est une sorte de révolte (qui provoqua) une interdiction de vente aux mineurs. Il n’y avait pas internet mais (nous formions) une communauté. Le ministre de l’intérieur (français, 1974-1977, ndlr) Michel Poniayowski alla jusqu’à interdire toute publicité, tout affichage (concernant « Métal hurlant », ndlr), un comble pour un magazine de BD. »

… Mais nous voici en 1997, un autre scénariste, Jean-Pierre Dionnet, écrivant: « L’aventure était finie. C’était une météore. C’est un milliardisième de milliardisième de seconde d’éternité, mais dont nous, les survivants, sommes quelque peu fiers, parce que l’on a été le plus grand journal BD du monde, l’espace de quelques années », François Schuiten ajoutant, au sujet des albums: « A l’époque d’ « (A Suivre) » et de « Métalhurlant », il y avait, peut-être, 300 nouveautés par an. Aujourd’hui, il y en a 5.000 ou davantage. On est dans un autre monde… Les revues disparaissent. Qui va réinventer le rôle que ces journeaux ont eu? »

A noter qu’au sortir de l’exposition, après une dernière planche, de « Cow Boy Henk », signée par le Gantois Herle Seele (°1959), ancien accordeur de pianos, en possédant 200 dans sa collection, à Oostende, édité par « Fluide glacial » et « Hara Kiri », le « Musée de la Boverie » nous offre, en complément, une accueillante mini-expo intitulée « Liège, Terre de BD », présentant le travail de dessinateurs régionaux, tels que, pour ceux n’étant pas à l’affiche de l’exposition principale, Luc Collin (« Batem »/°1960/avec le « Marsupilami » d’André Franquin), Tony de Luca (« Laudec »/°1947/créateur de « Cédric »), Marc Hardy (°1952/le créateur de « Pierre Tombal »), Vink Khoa (°1950/ Vietnamien d’origine, Liégeois depuis 1969/aves sa dernière série « Les Voyages de He Pao »), Marco Venanzi (°1963/qui poursuit les « Alix », de Jacques Matin), François Walthéry (°1946/et sa « Natacha »), …, qui s’expriment, chacun, sur leur passion, une vidéo étant consacrée à chacun d’eux… Interviews que nous retrouvons sur: www.festivalbddeliege.be.

Ouverture: du mardi au vendredi: de 09h30 à 18h, le samedi, le dimanche et les jours fériés, de 10h à 18h. Prix d’entrée (incluant l’accès à la collection permanente): 12€ (+ de 65 ans et membres d’un groupe: 9€ / étudiants: 6€ / « Article 27 »: 1€25 / – de 14 ans: 0€ / famille: 33€ pour 2 adultes et 2 enfants). Cataloguedétaillé, brochure-catalogue (5€) et dossier pédagogique (2€), disponibles à la Boutique du Musée, tandis qu’à l’accueil, avant d’entammer la visite, n’oublions pas d’emporter un carnet de jeux, pour les enfants, et un livret du visiteur, gracieusement offerts par le « Musée ». Site: www.laboverie.com.

En outre, nous rendre dans ce « Musée », nous permet de visiter trois autres expositions temporaires, non accessibles le lundi: « Une Journée en Normandie, avec Claude Monet » (jusqu’au 03 juillet/5€ et 3€), « Raoul Ubac » (jusqu’au 10 septembre/5€ et 3€), « Chromos/Pierre Devreux » (jusqu’au 31 juillet/0€ pour tous/expo « Portraits », du même peintre, au « Grand Curtius »/fermé le mardi/5€ et 0€ pour les – de 12 ans) et « John Cockerill, 200 ans d’Avenir » (jusqu’au 17 septembre/12€, 9€-seniors, à partirs de 65 ans, étudiants & membres d’un groupe de minimum 20 personnes, 5€-en groupes scolaires, 1€25-« Article 27 », 0€-moins de 6 ans), 30€-par famille de 2 adultes et 2 enfants). Durant le week-end de la Pentecôte, lundi inclus, possibilité d’obtenir une entrée gratuite pour l’accès à la collection permanente, en consommant un plat illustré par une oeuvre exposée au « Musée », en terrasse ou à l’intérieur des nombreuses tentes-pagodes des 13èmes « Epicuriales », dressées dans le Parc de la Boverie, face au « Musée ».

Notons enfin que depuis le 04 mai, en collaboration avec le « Musée de la Boverie », un 60ème mur (en 15 ans) a été confié à des artistes. Ainsi, au croisement entre le Quai du Longdoz et la rue Basse-Wez, près du Pont d’Amercoeur, deux graffeurs liégeois, Soke Oner et Michaël Nicolaï, ont adapté, en l’adoucissant, un dessin représentant « une boxeuse joueuse d’échecs », dont l’original est dû au dessinateur français, né à Belgrade, Enki Bilal (°1951), qui confiait à l’un de nos collègues: « Pourquoi pas une femme qui combat et qui a l’esprit suffisamment acéré pour être une maîtresse d’échecs et en même temps une maîtresse de la boxe. Donc, c’est un hommage aux femmes« .

Yves Calbert.

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