Les Dardenne, primés à Cannes, présentent « Le Jeune Ahmed », à Liège et à Namur

écrit par YvesCalbert
le 27/05/2019
Les Dardenne, primés à Cannes, présentent « Le Jeune Ahmed », à Liège et à Namur

« Je ne peux pas serrer la main à une femme », dit-il à sa professeure, qui voulait lui dire aurevoir, alors qu’il refuse d’embrasser sa propre mère, qu’il considère comme impure…. Et lorsque une jeune-fille l’embrasse, il se précipite vers un évier pour laver ce péché… Tel est le « Le Jeune Ahmed », que nous présente Jean-Pierre et Luc Dardenne, dans leur dernier film, qui vient de remporter le « Prix de la Mise-en-Scène » du 72e « Festival de Cannes », où il était nommé pour l’attribution de… onze autres Prix, dont le « Grand-Prix », les « Prix du Jury » et « du Scénario »…

Les deux prestigieux réalisateurs de ce film – qui, depuis 1996, ont présenté neuf films à Cannes, le premier à la « Quinzaine des Réalisateurs » et les huit autres en « Compétition officielle » – seront présents, avec des membres de leur équipe, au « Sauvenière », à Liège, ce lundi 27, à 20h, et ce mercredi 29, au « Caméo », à Namur, pour une rencontre avec leur public, à l’occasion de la projection événementielle de cette étonnante fiction, nous tenant en haleine jusqu’à la dernière image.

Synopsis :« En Belgique, aujourd’hui, le destin du ‘Jeune Ahmed’ (interprété par l’acteur belge Idir Ben Addi), 13 ans, se trouve pris entre les idéaux de pureté de son imam et les appels de la vie… Inès, enseignante à l’école de devoirs, elle même musulmane, veut enseigner un arabe basé sur le quotidien, et non pas sur le Coran, comme les cours que les enfants suivent à la mosquée, … ce qui révolte l’imam d’Ahmed, … la maman d’Ahmed – buvant de l’alcool et ne portant pas le voile -, suppliant son fils, en vain, de ne plus fréquenter cet imam radicalisé, alors qu’Ahmed idôlatre son cousin, tué lors d’une action djihadiste… »

Christine Plenus, photographe de plateau de Jean-Pierre et Luc Dardenne, depuis le tournage de leurs premiers longs métrages, nous éclaire sur le choix d’Idir Ben Addi, pour interpréter le rôle d’Ahmed : « Idir avait un côté poupon et on s’est dit qu’il allait pouvoir amener cette rondeur d’enfance. Il nous a tout de suite conquis. »

Soulignons que les Dardenne – avant d’engager Idir, mineur dâge – ont proposé la lecture du scénario à ses parents, de confesion musulmane. Ils ont, de suite, accepté…

- En conférence de presse, ce samedi 25, le « Prix de la Mise en Scène » leur ayant été décerné, Luc Dardenne déclara : « C’est un Prix que nous n’avions jamais eu et nous en rêvions un peu… On est très heureux de l’avoir reçu. Nous en devons beaucoup à Idir Ben Addi, le jeune acteur. Beaucoup à son apparence et à son sens du rythme inné. »

« Alors que le populisme identitaire et les crispations religieuses montent, nous avons souhaité filmer un appel à la vie, ce qui est aussi la vocation du cinéma. »

« L’éducateur, la mère, la professeure, tous essaient de ramener le jeune Ahmed à la raison. Car ils croient tous qu’ils sont dans le vrai et dans le bien, ils croient tous qu’ils ont absolument raison. Mais que faire avec ce jeune garçon ? C’est là toute la question. »

Jean-Pierre Dardenne enchaîna : « On essaie de voir comment on peut ou non ramener ce jeune garçon vers la vie. Ce film est un film de paix. La vie est toujours la plus forte, même contre tous les fanatismes, ceux-ci finissent toujours par perdre ».

Son frère, Luc reprit : « Ahmed découvre l’amour aussi dans son parcours de jeune garçon qu’il est encore, ce qui n’est pas vraiment un signe de pessimisme. De même, je pense à ce qui se passe dans sa tête, à la fin du film. »

« C’est impossible qu’un préadolescent comme lui puisse déjà avoir le discernement suffisant. Il faudra qu’il aille très loin dans son malheur, face à sa propre mort, pour trouver la rédemption. D’ailleurs, l’éducateur de référence, comme on l’appelle, dit à un moment que son travail n’est pas terminé. Il subsiste un peu d’espoir ».

« Ahmed découvre l’amour aussi dans son parcours de jeune garçon qu’il est encore, ce qui n’est pas vraiment le signe de pessimisme, comme certains l’évoquent. De même aussi, je pense, avec ce qui se passe dans sa tête à la fin du film… D’ailleurs, l’éducateur de référence, comme on l’appelle, dit à un moment que son travail n’est pas terminé. Il subsiste un peu d’espoir ».

« On a un regard double sur notre personnage : vous le voyez prisonnier d’une idéologie, d’une religion, et en même temps vous le voyez, peut-être, en train de pouvoir y échapper… On essaie de rendre compte de comment quelqu’un comme Ahmed peut être regagné par la vie, par ce qu’il appelle
l’impur. »

« Le fanatisme n’est pas propre à l’Islam.Toutes les religions ont connu ça à un moment ou l’autre de leur histoire. Prenez le premier ministre israélien Yitzhak Rabin : il a été assassiné par un ultra nationaliste israélien. »

« La religion est un phénomène imaginaire, on y croit ou on y croit pas. On s’est demandé comment un tel phénomène pouvait à ce point occuper l’esprit d’un gamin encore aussi jeune. On s’est intéressé à ce qui, pour lui, était impur, sa mère qui boit et ne porte pas le voile, sa sœur qui ne s’habille pas règlementairement, pas plus que sa professeure pourtant d’origine musulmane. »

Jean-Pierre tint à ajouter : « On n’a pas essayé d’expliquer pourquoi Ahmed était radicalisé au début du film, . A 13 ans, on commence à avoir des repères en dehors de la famille qui ne peut plus contrôler ça. Ainsi, il refuse d’embrasser sa mère après ses ablutions. Pour lui, le monde s’est divisé en deux : d’un côté les purs, de l’autre les impurs. Des impurs qu’il doit éviter, voire éliminer … (Quant au jeune acteur interprétant Ahmed), comme disait François Truffaut (1932-1984, ndlr), on ne dirige pas un enfant… mais il nous a beaucoup surpris. C’était formidable qu’il soit tout le temps dans le juste. »

- Pour « Les Grignoux », Catherine Lemaire écrit : « Ce nouveau film de Jean-Pierre et Luc Dardenne est une pure réussite, dans la digne lignée du ‘Fils’ ou de ‘Rosetta’. Les deux frères posent un contexte précis, brossés en quelques scènes : les relations familiales, les liens sociaux, l’importance du religieux. »

« Mais leur jeune Ahmed sort aussi de ce cadre. Il y a chez eux, toujours, par delà le déterminisme social, une attention presque féroce à cette part, même résiduelle, de libre arbitre, à l’humanité qui se construit par nos choix moraux. Nous retrouvons d’emblée leur style inimitable, leurs partis pris esthétiques. Une image qui colle aux basques du jeune ado, qui s’attache à rendre l’état d’esprit par des gestes, par du corporel, par des accessoires qui semblent d’abord anodins (lunettes, vêtements) mais permettent cet ancrage puissant dans le concret. »

« À ceux qui se demanderaient ce que les Dardenne font sur ce terrain jugé glissant ou à tout le moins délicat, nous pouvons répondre qu’il n’y a ici pas de thèse, et qu’il ne s’agit pas, pour eux, de donner ex abrupto des explications, des causes, mais d’observer, à partir d’une situation, la trajectoire d’un corps, ses interactions, ses désirs, ses pulsions, sa pugnacité. Ahmed est l’héritier symbolique de Francis (‘Le fils’), tient un peu d’Igor (‘La Promesse’) ou de ‘Rosetta’, sans leur ressembler pour autant. Ahmed et ses obsessions morbides, Ahmed l’obstiné, l’insaisissable, Ahmed, si jeune, si adolescent. »

« Leur jeune acteur, Idir Ben Addi, de tous les plans, est exceptionnel. Et il ne faudrait pas oublier cette nouvelle troupe dont il est entouré, qui incarne les bonnes volontés démunies face au gamin : Claire Bodson, la mère, Olivier Bonnaud, l’éducateur, Victoria Bluck, la toute jeune fermière. Chacune de ces personnes voudrait, à leur niveau, avec bienveillance, aider Ahmed, apaiser sa colère et son ressentiment. Mais peut-on « sauver » quelqu’un contre son gré ?… »

Ce que la presse française en dit :

- François Forestier, pour « Le Nouvel Observateur » : « Un film d’une force rare… La tête farcie par les homélies de l’imam du coin, la bouche tordue par la détestation des koufars, le regard vitrifié par sa lecture partiale du Coran, le jeune Ahmed choisit le fanatisme contre les appels à la vie… Avec Louise, la fille de la ferme où il est placé en rééducation, une adolescente lui témoigne de l’affection, il la rejette avec brutalité. Elle l’embrasse ? Il lave aussitôt la trace de ce péché à grande eau, comme si la souillure était imprimée dans sa chair… Les frères Dardenne ne jugent pas, dans ‘Le Jeune Ahmed’. Ils montrent, et suscitent simplement des émotions. Ici, elles sont puissantes : alternativement, le spectateur est horrifié par le discours d’Ahmed, agacé par sa fermeture d’esprit, soulevé par la colère devant cette lèpre de l’esprit. C’est la méthode Dardenne : ils injectent de l’intensité dramatique en filmant le quotidien des personnages, traversés par une vérité personnelle… »

- Etienne Sorin, pour « Le Figaro » : « Less frères Dardenne reviennent dans ‘Le Jeune Ahmed’ à ce qu’ils savent faire de mieux. Filmer l’enfance, découvrir de nouveaux visages. Les doubles lauréats de la palme d’or s’attaquent ici à un sujet sensible: l’islam radical. Quand on découvre ‘Ahmed’ (Idir Ben Addi), un adolescent belge de 13 ans, il est déjà fanatisé. Sous la coupe d’un imam doucereux, il s’apprête à tuer sa professeure, Inès. Le dénouement, terrible, glace le sang… La force du film des Dardenne est de ne pas tomber dans le film à thèse, dans l’illustration de causes économiques et sociales qui expliqueraient un endoctrinement religieux qui, in fine, échappe à toute explication rationnelle… »

- Véronique Cauhapé, pour « Le Monde » : « Cette empathie éprouvée à l’égard du personnage d’Ahmed, on la doit bien sûr au talent des frères Dardenne à trouver puis à faire travailler des débutants, tout en leur demandant ce qu’on exige des grands acteurs. Idir Ben Addi en est la démonstration dont la présence, dense, compacte, accapare tout le film… »

- Christophe Caron, pour « La Voix du Nord » : « Les Dardenne, fidèles à leur style brut, épuré, tendu, se placent avant tout à la hauteur d’un gosse immature et perdu qui devrait plutôt être travaillé par ses hormones que par ses ablutions… »

- Jean-Claude Raspiengeas, pour « La Croix » : « Le duo filme au plus près les visages et les corps dans des cadres étroits pour mieux coller aux personnages. Leur caméra mouvante suit en plans-séquences, comme happée, les mouvements de cette force obscure du mal… Fidèles à leur style naturaliste, les deux frères appliquent la règle de Bertolt Brecht  (1998-1956, ndlr) : le réalisme ne consiste pas à dire des choses vraies, mais à dire ce que sont vraiment les choses.

- Renaud Baronian, pour « Le Parisien » : « Cette balance très délicate, entre jeunesse, haine, amour des autres intégration et intégrisme, est au cœur du scénario. Et comme ce sont les Dardenne qui filment, et qu’ils sont passés maîtres dans l’art de traiter un fait de société sous la forme d’un thriller au suspense enlevé, on tremble à chaque instant… »

- Emily Barnett, pour « Les Inrockuptibles » : « Un film magnifique où l’ampleur du propos s’appuie sur une observation aiguë des micro-événements, des gestes...

- Christophe Narbonne, pour « Première » : « En ne cherchant pas à psychologiser les radicalisés, les Dardenne réussissent en définitive là où Téchiné a échoué avec ‘L’Adieu à la nuit’… »

- Louis Guichard, pour « Télérama » : « Les frères Dardenne signent un portrait percutant, empreint d’une grande humanité… »
Isabelle Danel, pour « Bande à Pert » : « Ce que scrutent Jean-Pierreet Luc Dardenne, avec cette façon bien à eux de documenter la fiction, c’est le mal à l’œuvre chez un enfant, l’impossible retour en arrière, un mystère jamais élucidé. C’est également ce qui rend le film aussi désagréable qu’essentiel… »

- Pour « Télé Loisirs » : « Un film d’une intensité et d’une humanité bouleversantes, qui avance vers la lumière… »

- Pour « CNews » : « Un drame poignant ancré dans la réalité sociale… »

- Aurélien Allin, pour « Cinema Teaser » : » ‘Le Jeune Ahmed’ captive, notamment parce qu’il ne traite jamais son sujet comme un fait divers de société, aussi tragique et réel soit-il, mais comme un véritable drame humain… »

A lire ces critiques, chacun comprendra que ce film à est, assurément, à découvrir, étant projeté en séances ordinaires, jusqu’au mardi 02 juillet, à Namur, au « Caméo », et à Liège, au « Sauvenière », jusqu’au mardi 02 juillet, sachant que quelques séances ordinaires, sont également prévues, dans cette dernière Ville, au « Churchill » et au « Parc » (pour les dates précises, consultez http://www.grignoux.be), sans oublier que « Le Jeune Ahmed » est sorti en salles, tant à Bruxelles que pratiquement partout en Belgique.

Preuve de leur attachement au« Festival de Cannes » rappel de l’impressionant palmarès des frères Dardenne :

- un « Prix du Scénario » (« Le Silence de Lorna »/ Bel.-Fra.-All.-Ita./2008/105′),
- un « Grand-Prix du Festival » (« Le Gamin au Vélo »/Bel./2011/87′),
- une « Mention spéciale du Jury oecuménique » (« Deux Jours, une Nuit »/Bel.-Fra.-Ita./2014/95’/ce film récoltant, aussi, en 2015, trois « Magritte du Cinéma », à Bruxelles, et le « Prix Lumières du meilleurFilm francophone », à Paris, et en 2014, le « Sydney Film Prize », au« Festival de Sydney »),
deux « Palmes d’Or », en 1999 (« Rosetta »/Bel.-Fra./1999/95′) et en 2005 (« L’Enfant »/Bel./ 2005/95′),
- un « Prix de la Mise en Scène », en 2019 (« Le Jeune Ahmed »/Bel./2019/84′).

Ca samedi 25 mai, les frères Dardenne recevant leur Prix sur une scène cannoise, qu’ils connaissent désormais fort bien, Luc prit la parole : « Ce film est une ode à la vie… Alors que le populisme identitaire et les crispations religieuses montent, nous avons souhaité filmer un appel à la vie, ce qui est aussi la vocation du cinéma… »

… Et comme l’écrit très justement, Jean-Marie Wynants, dans le « MAD » du « Soir » , évoquant « L’Art discret de raconter la Vie » : « Il y a ceux qui nous emmènent dans des mondes extraordinaire, faits de rêves et de monstres, de planètes lointaines et de super héros. Et il y a ceux qui nous parlent d’ici et maintenant, transformant leur caméra en miroir de notre monde, de nos angoisses et de nos questions. »

A noter que le « Grand-Prix », du « Festival de Cannes » 2019 est attribué à un autre film belge, « Nuestras Madres » (Augusto César Diaz/Bel.-Fra.-Guatémala/2019/ 77′). Nous y reviendrons.

Yves Calbert.

  • Les Dardenne, primés à Cannes, présentent « Le Jeune Ahmed », à Liège et à Namur
  • "Le Jeune Ahmed" (Jean-Pierre et Luc Dardenne) : L equipe du film, a Cannes (c) "AFP"
  • Sur les marches cannoises, pour la 1ere mondiale (Jean-Pierre et  Luc Dardenne) (c) "AFP"
  • "Le Jeune Ahmed" (Jean-Pierre et Luc Dardenne) : Sur scene, L equipe du film,a Cannes (c) "AFP"
  • Avec sa Professeure, a qui il refuse de serrer la main, dans "Le Jeune Ahmed" (Jean-Pierre & Luc Dardenne)
  • L imam et "Le Jeune Ahmed" (Jean-Pierre et Luc Dardenne) (c) "Les Films du Fleuve"
  • Dans un champ, avec la jeune fermiere… (Jean-Pierre et Luc Dardenne) (c) "Les Films du Fleuve"
  • Idir Ben Addi interpretant Ahmed (Jean-Pierre et Luc Dardenne) (c) "Les Films du Fleuve"
  • Leur 1ere "Palme d’Or", pour "Rosetta", en 1999 (c) Michel Gangne/"AFP"
  • En classe de l’école des devoirs, avec Ines, sa Professeure (c) "Les Films du Fleuve"
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