« Métamorphose », à la « Galerie du Beffroi », à Namur

écrit par YvesCalbert
le 09/01/2020
« Métamorphose », à la « Galerie du Beffroi », à Namur

Jusqu’au mercredi 15 janvier, la « Galerie du Beffroi », à Namur, nous plonge dans l’univers étrange et fascinant de Pierre Sgamma. Né à Alger, en 1961, cet artiste français vit et travaille dans le Vaucluse. À travers « Métamorphose », sa première exposition personnelle en Belgique, il explore avec originalité et fantaisie, nos joies, nos peurs, notre soif de liberté, nos zones d’ombres.

Céramiste, peintre et sculpteur, il nous permet de voyager aux royaumes des mythes et des contes. Ses créatures en céramique et ses installations animalières monumentales bousculent nos repères, mélangeant le sublime et le grotesque, le spirituel et le païen, la candeur et la perversité. Provoquer des émotions mais ne pas choquer, raconter tout en laissant à chacun le soin d’interpréter ses œuvres.

Dans cette exposition insolite où le mystère côtoie le réel, les femmes retrouvent leur nature sauvage, des enfants fusionnent avec des papillons, un cerf tente d’échapper à son reflet, le loup et le chaperon rouge ne forment plus qu’un (« tout ce qui se mange avec plaisir se digère avec facilité », écrit-il), …

En fin de compte (ou de conte), chacune de ces créatures hybrides nous renvoie à notre propre dualité, nous interrogeant sur notre condition humaine.

Le grès que travaille Pierre Sgamma est une céramique obtenue à partir d’une terre à forte teneur en silice. Cuite entre 1.000 et 1.300 degrés, dans un four adapté, elle se solidifie, devient étanche et très résistante.

L’exercice est particulièrement délicat, car la cuisson est capricieuse et souveraine. Pour une pièce retenue, combien seront sacrifiées, parce que la chaleur aura corrompu les couleurs, parce qu’elles auront éclaté dans le four… Il suffit d’une bulle d’air, emprisonnée lors du malaxage de la terre, et le travail est réduit à néant. Il arrive aussi parfois que l’artiste lui-même les écarte, car il les juge trop éloignées du résultat escompté… La besogne est, alors, à reprendre.

A noter que ce qui fait la singularité de ses créations en grès, c’est la façon, qui n’appartient qu’à lui, de les oxyder et de les émailler. Sa grande maîtrise du matériau, qui lui permet des combinaisons savantes entre les oxydes et les pigments, de subtils accords entre le temps et la température, ainsi que la difficile opération d’ inclusion d’éléments en métal, qui serviront d’accroche pour des pièces qu’il ajoutera après avoir été refroidies.

Le grès que travaille Pierre Sgamma est une céramique obtenue à partir d’une terre à forte teneur en silice. Cuite entre 1.000 et 1.300 degrés, dans un four adapté, elle se solidifie, devient étanche et très résistante. « La céramique est un art de la patience et de l’inattendu », nous confiait l’artiste, lors du vernissage.

De fait, l’exercice est particulièrement délicat, car la cuisson est capricieuse et souveraine. Pour une pièce retenue, combien seront sacrifiées, parce que la chaleur aura corrompu les couleurs, parce qu’elles auront éclaté dans le four… Il suffit d’une bulle d’air, emprisonnée lors du malaxage de la terre, et le travail est réduit à néant. Il arrive aussi parfois que l’artiste lui-même les écarte, car il les juge trop éloignées du résultat escompté… La besogne est, alors, à reprendre.

Soulignons aussi que Pierre Sgamma a tenu à placer, aux côtés de certaines de ses oeuvres, des citations litéraires, telles celles de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : « Il y a une union d’âmes, qui s’aperçoit au premier instant, et qui produit bientôt l’intimité », d’Edgard Allan Poe (1809-1849) : « Ta beauté est, pour moi, comme ces barques nicéennes d’autrefois, qui, sur une mer parfumée, portaient doucement le défait et las voyageur à son rivage natal », de Lewis Caroll (né Charles Lutwidge Dodgson/1832-1898) : « Mais je n’ai aucune envie d’aller chez les fous. » – « Oh ! Vous ne sauriez faire autrement. Ici, tout le monde est fou ! », ou encore, jouxtant l’un de ses cavaliers masqués, de Erri de Luca (né Enrico de Luca/°1950/« Prix Fémina étranger », en 2002) : « Chez nous, il existe une histoire drôle d’un cavalier qui ne sait pas faire du cheval et qui passe au galop à travers champs. Un paysan demande où il va et l’autre crie dans sa course : demandez au cheval. »

A la veille du vernissage de sa présente exposition, Pierre Sgamma, artiste particlièrement sympathique et enthousiaste, confiait à Valérie Sacchi :

« Les contes et légendes, j’adore ça depuis tout gamin. Ce qui m’interpelle, c’est la rumeur du mythe. Comment séparer le vrai du faux. J’aime raconter des histoires. Et comme dans les mythes et légendes, ces histoires parlent des choses de la vie, la joie, la peur, la mort, des choses universelles. Mais j’y ajoute du fantastique, de la poésie. Et chaque spectateur va pouvoir interpréter ce qu’il voit. »

« Il est ludique, joyeux, irréel, on n’arrive pas à l’attraper. Il va amener ‘Alice (au Pays des Merveilles’, ndlr) à se retrouver elle-même, à vivre des choses pour mieux se connaître. Et donc à grandir, à évoluer. Il y aura un clin d’œil à ce lapin et à la folie dans l’exposition. J’ai également repris l’idée du loup dans le Chaperon rouge. Une histoire pour enfants assez cruelle puisque le loup mange la grand-mère et la fillette. Je l’interprète à ma façon, en y ajoutant de l’humour et en évoquant le paradoxe du loup, un animal qui fait peur et qui fascine à la fois. C’est ainsi que l’enfant se retrouve enfermé dans une petite boîte nichée dans le ventre du loup. »

« Le vaste et énigmatique royaume de Pierre Sgamma est une bouleversante plongée dans le chaos des émotions, un travail de fouilles, soigné, réfléchi, d’une extrême sensibilité, aux confins parfois de l’insoutenable, mais où l’humour, toujours, vient soulager l’onde ravageuse et nous rappeler cette urgence à vivre… avec nos nœuds en talismans. Cet artiste nous montre son monde… pour nous aider à voir le nôtre. »

Parfait autodidacte, il poursuivait : « Pendant une vingtaine d’années, j’ai travaillé dans le bâtiment. Un jour, j’ai eu envie de me lancer dans la céramique. Je n’y connaissais rien, j’ai rencontré un artiste céramiste passionné qui m’a enseigné les bases. J’ai acheté un four, mais mes premières expériences furent catastrophiques, ayant peur de casser les pièces. Curieux de nature, je progressai avec le temps, la céramique devenant ma vraie passion. »

« Certains s’expriment par l’écriture. Moi, j’ai choisi la céramique comme mode d’expression. Avec cette technique, il y a toujours une part de surprise. Ce que je créé donne un sens à ma vie, c’est quelque chose qui m’habite. S’il fallait classer ma démarche, je parlerais plutôt d’art singulier. »

« J’exhorte une réflexion critique sur notre condition et propose un éclairage en invoquant le sacré, la spiritualité, la magie, là où le mystère côtoie le réel. Je prends position en nous confrontant sur notre étrangeté afin d’ébranler, modifier l’état de conscience général, les formes ou les idées reçues pour échapper à toute formulation et ainsi nous amener à libérer des possibles. »

« J’essaye d’interpeller, déclencher des émotions, susciter la discussion. J’aime entendre la réaction des gens, ça m’enrichit. Mais je ne suis pas trash. En tout cas, je ne veux pas choquer. Provoquer mais pas choquer. On aime ou on déteste, mais il faut qu’il se passe quelque chose. »

« Dans les moments de production et de création les plus intenses, je ne travaille pas, je joue. Chaque pièce est un morceau de moi, chargé de mon expérience d’amour, de violence, de peurs, de manques, de désirs. Je me moque de moi, de cette grande comédie qu’est la vie. »

Dans sa présentation de la exposition namuroise, Valérie Sacchi écrit :« Enfin, le lapin d’Alice vous rappellera que vous êtes est en retard ! On ose espérer que vous vous direz que c’est pour autre chose que vos courses de Noël. Nous, l’exposition nous a inspiré que c’était pour réenchanter nos quotidiens trop rythmés. Filez voir cette très belle exposition à l’entrée libre. Un ravissement pour les yeux et les esprits ! Surtout, amenez-y vos têtes blondes. On gage qu’elles adoreront jouer à se faire peur ! … »

Quant à Sandrine Baron, elle écrit : « Le vaste et énigmatique royaume de Pierre Sgamma est une bouleversante plongée dans le chaos des émotions, un travail de fouilles, soigné, réfléchi, d’une extrême sensibilité, aux confins parfois de l’insoutenable, mais où l’humour, toujours, vient soulager l’onde ravageuse et nous rappeler cette urgence à vivre… avec nos nœuds en talismans… (Cet artiste) nous montre son monde… pour nous aider à voir le
nôtre. »

« Tout en poésie et en sensibilité, le monde de Pierre Sgamma est cet équilibre entre déchirure et apaisement, imaginaire et réel, sensuel et spirituel, lumière et obscur, anges et démons, liturgie et paganisme, horreur et grâce… Cette démarche plastique constructive, d’une grande vitalité, fait de cet artiste talentueux, un pourvoyeur de sens. »

Une autre particularité du travail de cet artiste est de placer des bijoux orientaux, en argent, sur quelques oeuvres, ce qui leur donne un indéniable caractère ethnologique, … ce qui, peut être, pourrait ne pas être apprécié par les dames qui les portèrent, autrefois, au Maroc, ou ailleurs, comme, encore de nos jours, au sein d’ethnies d’Asie du Sud-Est, Akhas et autres…

Enfin, pour ses installation anilalières monumentales, telles « Résonance » et « Femmes Louves », Pierre Sgamma n’hésite pas à utiliser d’authentiques peaux d’animaux.

Concernant ses « Femmes Louves », il confia à Valérie Sacchi : « C’est vrai que le thème de la femme revient souvent dans mon travail. C’est quelque chose de très intime. Les Louves évoquent les deux femmes qui m’ont donné de l’amour, ma grand-mère et ma mère. De façon plus générales, ces sculptures parlent de la condition de certaines femmes, soumises, bousculées, non respectées ni entendues. En même temps, c’est encore une histoire de métamorphose. ces femmes-louves courent, elles sont en quête de liberté. »

N’hésitons donc pas à nous rendre à la « Galerie du Beffroi », afin de découvrir, pour la première fois en Wallonie, les différentes facettes de cet artiste, qui explore avec originalité et pertinence nos émotions, nos failles, notre besoin des contraires, nos paradoxes, nos peurs, mais aussi nos ressources. Il nous confronte sur notre étrangeté, pour ébranler notre état de conscience général, nos idées reçues, afin de nous amener à nous libérer des possibles.

Lieu : « Galerie du Beffroi », faisant face à la « Tour Saint-Jacques », édifiée en 1388, devenue le Beffroi de Namur, en 1746, figurant, depuis 1999, sur la liste du « Patrimoine mondial de l’UNESCO ». Ouverture de la Galerie : Jusqu’au mercredi 15 janvier, du mardi au samedi, de 11h à 18h, le dimanche, de 12h à 18h. Entrée gratuite. Site web : http://www.facebook.com/galeriedubeffroinamur.

… Et si nous souhaitons découvrir notre part animale, à la vue d’autres oeuvres du drôle de bestiaire humanoïde de Pierre Sgamma, notons qu’il expose, également, jusqu’au dimanche 16 février, en Provence, au « Campredon Centre d’Art » (site web : http://www.campredoncentredart.com), à L’Isle-sur-la-Sorgue, où il est domicilié, une ville des plus charmantes, troisième plate-forme européenne du commerce des antiqités, son identité étant, aussi, révélée par ses « négo-chins », des barques à fond plat (5 mètres de long, pour 65 centimètres de large et 40 centimètres de profondeur), qui glissent sur la rivière Sorgue, à l’aide d’une perche en bois (dont la taille varie entre trois et cinq mètres) par embarcation, maniée debout avec habilité, à l’image des gondoliers de Venise…

Yves Calbert.

  • « Métamorphose », à la « Galerie du Beffroi », à Namur
  • Dialogue entre l installation "Resonance" et son createur (c) Pierre Sgamma/Photo : Th. D.
  • "Femmes Louves" (c) Pierre Sgamma / Photo : "Skit"
  • "Miam Miam" ("Loup et Chaperon Rouge ne forment plus qu un") (c) Pierre Sgamma/Photo : Murielle Lecocq
  • "Des enfants fusionnent avec des papillons" (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • "Love Love" (c) Pierre Sgamm/Photo : "Skit"
  • Papillons à l honneur (c) Pierre Sgamma / Photo : "Skit"
  • Au pays des etres-cervides (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • "Cavalier masque 2" (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • "Dear Rabitt" ("Cher Lapin") (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • Mais ou est donc "Alice" (c) Pierre Sgamma
  • "Red Wolf" ("Loup Rouge") (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • Chaperon Rouge et le loup, l un des themes favoris de (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • « Métamorphose », à la « Galerie du Beffroi », à Namur
  • Une oeuvre a caractere ethnologique (c) Pierre Sgamma/Photo : "Skit"
  • Le Bourgmestre de Namur et l Artiste, au Vernissage de "Metamorphose" (c) Murielle Lecocq
  • Les "nego-chins" d Isle-sur-la-Sorgue, ou Pierre Sgamma expose jusqu au 16 fevrier (c) Neukens
  • Pierre Sgamma
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