Sur le chemin à remonter le temps : Les sentiers que nous foulons ont une histoire et des historiens

écrit par francois.detry
le 13/05/2019
Sur le chemin à remonter le temps : Les sentiers que nous foulons ont une histoire et des historiens

Sur le chemin à remonter le temps
Les sentiers que nous foulons ont une histoire et des historiens ( David Broman )
Jean-Pierre Englebert, amateur des sentiers de randonnée pédestre, est l'un d'entre eux

« Plus je cherchais, plus j'obtenais de documents de Belgique, de France, du Luxembourg et d'Allemagne ».
Mes parents se sont connus dans un club de jeunes issus des mouvements du Touring Club de Belgique, des auberges de jeunesse et des Amis de la nature. Dès l'âge de 2 ans, j'ai commencé à camper avec eux. Je me suis mis à pratiquer la randonnée pédestre à l'âge de 5 ans. A 8 ans, je lisais sans problème une carte IGN et à 10 ans je conduisais des balades en groupe. Ca fait plus de cinquante ans que je marche tous les dimanches. Si «prendre sa retraite» est souvent synonyme de «chambouler ses habitudes», un aspect fondamental de la vie de Jean-Pierre Englebert n'a pas bougé lorsque, après une carrière comme technicien électromécanicien des chemins de fer belges, il a pris sa pension: il répond toujours présent aux marches dominicales organisées dans sa région. Durant sa jeunesse, il aura découvert les «GR» ( sentiers de grande randonnée ) – le tour du Mont-Blanc à deux reprises, la Grande traversée des Alpes, le GR 20 en Corse –, ainsi que les Dolomites et l'Autriche…
Belge, marié, sans enfants, vivant dans la région liégeoise, il a connu son épouse en marchant avec les Vaillants de Seraing, un club de randonneurs créé il y a une quarantaine d'années dans le cadre d'une opération de soutien à la création d'une école. Alors qu'il marche rarement seul, préférant les périples avec les groupes d'amis, au fil des ans, Jean-Pierre Englebert a étendu sa passion, notamment en contribuant à des opérations de balisage et en offrant aux intéressés – touristes ou autres – des balades insolites ( comme guide bénévole «greeter» ou via le service en ligne «OnVaSortir ! » ). Il a aussi été amené à s'investir dans la recherche et la diffusion d'informations concernant les sentiers et la pratique de la randonnée en général, notamment pour le compte d'instances officielles régionales du tourisme pédestre. C'est dans ce cadre que ce randonneur invétéré s'est mis à parcourir le chemin de jadis, partant à la recherche des origines des sentiers tant foulés aujourd'hui dans nos régions. «Au départ, il s'agissait d'un projet de la Fédération wallonne des sentiers GR de parler de l'histoire des sentiers, mais ça a pris beaucoup d'ampleur et de temps. J'ai rencontré Luc Selleslagh, le créateur du site en néerlandais « www.trekkings.be », qui avait déjà fait un travail considérable en parcourant de nombreux sentiers. Plus je cherchais, plus j'avais de contacts, plus j'obtenais de documents de Belgique, de France, du Luxembourg et d'Allemagne, plus je me rendais compte combien cela me passionnait.» Passion qui fut couronnée, en cette année du 60e anniversaire des Sentiers de grande randonnée belges, par la nomination de Jean-Pierre Englebert comme chercheur archiviste pour la Wallonie. Cette voie de la remontée du temps le conduira jusqu'en 1832, en France, plus particulièrement à la forêt de Fontainebleau – sans doute l'un des berceaux du tourisme pédestre contemporain. «Un ancien soldat de Napoléon, du nom de Claude-François Denecourt, y avait entamé la description d'un réseau de chemins totalisant 150 km. Il finira par en publier un ouvrage en 1839, ce qui lui permettra de financer un balisage uniforme qui restera célèbre pendant de nombreuses années – les «flèches bleues». Articulant principalement sa recherche historique sur les sentiers belges, Jean-Pierre Englebert en connaît néanmoins un bout sur les chemins luxembourgeois. Historiquement, ce «débordement» est effectivement d'autant plus logique que les instances des deux pays ont bien souvent opté pour la coopération en la matière. «Peu de gens savent, par exemple, qu'avant la Première Guerre mondiale la coopération touristique entre les deux pays avait déjà pris la forme d'un «Office belgo-luxembourgeois du tourisme», dirigé par un certain Maurice Cosyn, belge, responsable des fameux «Guides Cosyn» et… créateur du sentier de la vallée de l'Eisch dit «des Sept Châteaux»…

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Aux sources des chemins de randonnée luxembourgeois ( David Broman )
Brève balade de Weiswampach à Pétange, de Steinfort à Remich, de Troisvierges à Schengen…

Lorsque le randonneur à pied traverse un «beau milieu de nulle part», ses pensées s'aventurent et il n'est pas rare qu'elles se mettent à tenter d'imaginer les origines historiques du sentier qu'il foule: légionnaires loin de Rome envahissant à tâtons, troupeaux menant leurs bergers, contrebandiers de café évitant les voies usitées… Pour ce qui est du Luxembourg, si la littérature historique des sentiers que nous utilisons pour nos balades loisirs semble peu abondante, grâce à certains fouineurs, souvent des amateurs passionnés**, nous savons aujourd'hui que l'origine de nombreux sentiers est liée à l'histoire de la randonnée touristique, plus particulièrement à l'essor qu'a connu cette pratique dès la fin du XIXe et au début du XXe siècle. «Au Grand-Duché», nous dit Pierre Englebert, « il semble que le premier sentier créé dans le cadre de cet essor fut celui, relativement court, du Mullerthal, établi dans les années 1880 et dont les cinquante ans furent célébrés à Echternach en 1927 ». La vallée de l'Our aussi fut rapidement aménagée pour la marche touristique. Ce sentier avait été initié et coordonné par une association dédiée à la pratique, l'Eifelverein. Aussi peut-on lire dans un article du journal belge L'avenir du Luxembourg daté d'octobre 1909, que ledit sentier est «à peu près terminé» et que « déjà maintenant on peut hardiment entreprendre cette excursion qui est d'une beauté étrange, réellement grandiose ». Et précisant: « Après bien des marches et ascensions, M. Hoitz [ ndlr: un responsable allemand de la Eifelverein ] reconnut la possibilité de créer un chemin peu onéreux pour ouvrir la vallée supérieure aux touristes […] ». Enfin, en août 1907, une commission formée de l'Eifelverein et de délégués du gouvernement grand-ducal étudièrent sur place les voies et moyens de réaliser pratiquement les données.» La création du parcours ne sera pas toujours aisée. Alors qu'à certains endroits «il y fallut […] entamer le rocher à pic», il s'avéra aussi nécessaire de faire passer un bout de sentier en Allemagne du fait que des propriétaires belgo-luxembourgeois posaient des exigences considérées comme exagérées. Autre petite anecdote: il est dit qu'un certain Jean Loiseau, parcourant dans les années 1930 le sentier de l'Our et admirant la qualité de l'aménagement et du balisage, fut pris d'une inspiration qui le mena à devenir le père des chemins de grande randonnée ( les GR ) en France. Il faut dire aussi que le Luxembourg était déjà traversé par ce qui était appelé le « sentier international Pays-Bas - Vosges » (mais qui s'arrêtait à Luxembourg ), que le sentier belge de l'Ourthe allait jusqu'à Clervaux, qu'Echternach-Trèves existait depuis le début du siècle, que Maurice Cosyn avait déjà créé le sentier des sept châteaux dans la vallée de l'Eisch… Aux origines, l'établissement des sentiers s'est inscrit dans un concept d'excursion rupestre combinant la marche avec d'autres moyens de déplacement, particulièrement les chemins de fer. Un guide belge intitulé Dans l'Ardenne grandducale datant de 1896 illustre cette approche. Il décrit dans les détails un itinéraire reliant Spa à Larochette et qui passait par Esch-sur-Sûre, Diekirch, Echternach, Trèves, Remich, Mondorf et Luxembourg. La voiture automobile finira aussi par devenir un acteur-clé de l'essor des chemins de randonnée. Ainsi voit-on se développer, dans les années 1960, le concept de «circuit autopédestre» adopté par les communes. Un article publié dans Letzeburger Land du 27 mai 1960 évoque les « longues files d'automobilistes qui se dirigent vers la campagne la plus proche, à la recherche d'un coin tranquille ». Et le journaliste de s'en féliciter: «Or il est heureux de constater que chez nous, le tourisme pédestre est revenu en vogue, et c'est parmi les automobilistes que ses adeptes sont de plus en plus nombreux. Il faut certes se réjouir d'une telle évolution […]. Il n'est de distraction plus agréable et plus saine que de se servir de son auto pour gagner aisément tel ou tel endroit en vue de faire ensuite une randonnée pédestre ». A noter enfin qu'avec le regain de la randonnée exclusivement pédestre, de nouveaux chemins se créent. Parmi eux, Escapardenne Eislek Trail, inauguré en 2012, relie Kautenbach (L) à La Roche-en Ardenne (B) en cinq étapes.
** Comme le belge Jean - Pierre Englebert que nous remercions.

© François DETRY
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