Offensive. Houffalize. Conte. Chapitre 6. Hans et Sepp croisent deux connaissances
Offensive. Houffalize. Conte. Chapitre 6 Hans et Sepp croisent deux connaissances
Hans et Sepp commençaient à bien connaître Houffalize et ses habitants réduits à la portion congrue.
De l’étoffe, il suffisait de se servir parmi les voilages et rideaux à dégager parmi les gravats. Restait la matière pour farcir le vêtement du roi mage qu’il allait coudre : Hans avait sa petite idée.
Avec son camarade, Il remonta la grand-rue, les escaliers des deux fossés étant impraticables. Les fossés : ainsi nomme-t-on à Houffalize les raides raccourcis entre la grand-rue et la Ville-Basse.
Le grand fossé, en face de l’actuel hôtel de ville, était un amoncellement des éboulis de l’hospice dévasté par des bombes incendiaires. On était parvenu à évacuer les pensionnaires à temps vers les caves du fond de la ville, sinon deux d’entre eux qui périrent dans les flammes.
Entre Noël et nouvel an, c’est la partie sud de la ville qui fut touchée. Chéravoie, St-Roch, la Gare, route de Bastogne, place des Tilleuls.
C’est de jour qu’échangeaient leurs décharges l’aviation alliée et la défense antiaérienne allemande dont les effectifs étaient disposés à de nombreux endroits.
Les deux Allemands croisèrent et saluèrent Camille Jacqmin, un véritable passe-muraille. Parmi les profanes, il fut l’homme le plus utile, peut-être, de l’Offensive. On le vit dégager en les hissant par le soupirail vingt-six personnes de la cave de Monsieur Daulne tout juste bombardée. Il approvisionna en viande la communauté houffaloise par on ne sait quel jeu de relations dans les villages. Il s’exposa à la mitraille pour des missions de messager nocturne. Il contint l’émotion de découvrir le plein de morts dans les caves sans perturber la poursuite de ses besognes périlleuses.
Ils baissèrent les yeux en apercevant le docteur Verheggen sortir de la maison du pied de St-Roch, suivant un brancard porté par Renée Lambin et Joseph Ricaille.
Que penser du Docteur Verheggen, un homme débonnaire et taiseux, seul médecin à Houffalize, qui ne s’attendait jamais à devenir urgentiste de guerre dans la ville qui aura le plus souffert.
Pas le moindre embryon d’hôpital de campagne, pas d’assistant spécialisé. Accéder aux patients par des routes qui n’existaient plus, sans éclairage dès la tombée des nuits de fin décembre. Pas de téléphone : que des coursiers qui le traquaient au besoin pour l’alerter qu’on mourait ici ou là, route de Bastogne ou bois des Moines, et pas d’instruments adéquats pour porter secours, ni médicaments, ni surtout anesthésiants ni morphine. Une silhouette caractéristique : la trousse dans une main, l’autre bras tendu pour chercher un équilibre sur de la neige invisiblement verglacée.
On ne connaîtra jamais ce qu’il a vécu, un vécu pour le reste indicible. Une heure du Docteur Verheggen aurait suffi à vous traumatiser pour le restant de toute une vie. Peut-être sa future passion pour l’ornithologie palliera-t-elle les séquelles de l’adversité éprouvée.
Hans et Sepp entendirent le Docteur donner rendez-vous aux brancardiers à la tannerie Poncin. Et comment, en dix jours à Houffalize, n’auraient-ils pas compris les mots « tannerie Poncin » ?
Ah! La tannerie dont la cave hébergeait plus de cent personnes. Au fond, la morgue. Juste avant, les blessés : plus ils étaient considérés graves, plus près des morts les avait-on installés, lugubre prévoyance pour quand ils basculeraient dans l’au-delà. Pêle-mêle ceux qui gémissaient et ceux qui criaient. Ceux qui subitement hurlaient en transe, qu’un cauchemar venait de réveiller.
La cave de la tannerie ! Par séquences, de fulgurantes lueurs traversaient les soupiraux, suivies de détonations, puis de vibrations. Une tabagie opaque peinait à atténuer les odeurs des cadavres mêlées aux émanations psychédéliques de l’infirmerie. Moments de silence en alternance avec des moments de prière. Ceux qui grelottaient de fièvre. Les coliques, les diarrhées, la diphtérie. Les vieillards transis qu’on venait de ramener en désespoir de cause de leurs huttes dans la forêt. Ceux à qui il fallait refuser l’accès, à défaut de place.
À l’entrée, le pétrin où Madame Gadisseux mettait la pâte à lever dans un air relativement attiédi par la chaleur animale des occupants, pétrin qu’on ressortirait une fois le travail terminé pour regagner l’espace d’un grabat.
Après avoir emprunté la Chéravoie et la rue Porte à l’Eau, Hans et Sepp arrivèrent à la gare du tram. Sur la place, il y avait la maison de Fernand Dislaire, un menuisier connu pour son tempérament placide et taquin. Hans frappa à la porte. La femme vint ouvrir : « je vais chercher mon homme », dit-elle sans préambule.
Lorsque celui-ci rentra dans la cuisine, soulagée, elle demanda :
- K’èst vlint-i ? Que voulaient-ils ?
- Ô ! Jusse one cayote di rututus. Oh! Juste un sachet de copeaux.
René Dislaire © Houffalize, 16 janvier 2020 (à suivre)
Houffalize. Offensive de 1944/1945. Conte.
Hans, Perpétue et Félicité. Liens vers les 7 chapitres.
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 1. Les trtibulations de Hans en Europe
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 2. Hans prend ses quartiers à Houffalize
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 3. L’allemand Hans sous les bombardements
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 4. Le SS doryphore
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 5. Hans et la petite Perpétue
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 6. Hans et Sepp croisent deux connaissances
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 7. 6 janvier 1945. Fin