Face à face : le masque dans la bande dessinée, magique exposition à l'Abbaye de Stavelot

écrit par Anonyme (non vérifié)
le 18/04/2010

Dans le cadre de « BD 2010 Wallonie-Bruxelles » l’Abbaye de Stavelot accueille dans ses murs l’exposition « Face à face, le masque dans la bande dessinée », venue du Musée international du Carnaval et du Masque de Binche. Le-rez-de chaussée et le deuxième étage de l’abbaye vous baladent sur les cinq continents en suivant le riche cortège des images des masques dans la bande dessinée en regard des magnifiques pièces des collections du musée de Binche. C’est sur la base de 1500 recueils de bande dessinée consultés que le projet a démarré. Puis sur une sélection de 200 albums exploitables dans le contexte de cette exposition il a été question de trouver l’objet réel- le masque- correspondant à l’illustration. Les sources d’inspiration furent les masques du Musée international du Carnaval et du Masque à Binche, les revues scientifiques et les catalogues de vente ainsi que des gravures et sculptures. Au final de cette minutieuse méthodologie de recherche, 57 bandes dessinées étoffent le voyage de cette exposition. Face à face donc entre les agrandissements des vignettes de la bande dessinée et de leurs référents : plus de quarante masques originaux, avec les notices explicatives de l’usage traditionnel du masque et du récit dans lequel l’auteur le met en scène. Vous pourrez ainsi re-découvrir les auteurs de BD tels que Tibet, Desorgher, Hergé, Franquin, Comès, Giraud, Servais, et bien d’autres encore …
Astucieux et saisissant ce cousinage entre le masque et la bande dessinée puisque tous deux font aujourd’hui bel et bien partie de notre univers culturel, ayant explosés les frontières de l’enfance et du simple divertissement et ayant acquis tardivement une reconnaissance. « La bande dessinée qui emporte l’adhésion du grand public est née dans la première partie du XXe siècle, sous la forme de feuilletons à rebondissements publiés dans la presse quotidienne ou magazine. Les dessinateurs de BD et leurs scénaristes sont donc les héritiers directs d’Eugène Sue (les Mystères de Paris), de Ponson du Terrail (Rocambole) ou de Pierre Souvestre (Fantomas). Les récits « rocambolesques » avec lesquels ils ont tenu en haleine leurs lecteurs mélangeaient hardiment le réalisme et la fiction, ne cherchant pas absolument à rendre leurs histoires crédibles. Le but à atteindre, c’était d’accrocher le lecteur en projetant dans son imaginaire des images évocatrices du quotidien dans lequel s’ouvriraient sans cesse des portes permettant d’accéder à un univers parallèle, inconnu et quelquefois inquiétant. La BD? Elle peut être fantaisie, pleine de rêve et d’humour. Elle peut être policière, de science-fiction ou d’aventure. Elle peut être à caractère historique. Elle peut être un voyage, la découverte de mondes inconnus. Elle peut aller à la rencontre des autres. Elle peut encore être un cri ou une émotion. C’est la raison pour laquelle, dans les multiples genres de la bande dessinée comme en littérature populaire, le masque a trouvé sa place.
Quant à la découverte des masques, l’histoire du regard qu’ont posé les artistes sur ces objets manufacturés est étroitement liée à l’évolution du regard occidental sur ces productions artistiques. Après le XVème siècle et la quête d’or et d’épices, après les navigateurs portugais et espagnols longeant les côtes de l’Afrique, des Indes, et bientôt d’un Nouveau Monde, après la découverte d’autres paysages, d’autres matières, d’autres saveurs et surtout d’autres peuples aux us et coutumes éloignés, après les explorateurs et les conquistadors, après la traite et le commerce triangulaire, après les premiers missionnaires chrétiens et la conversion des populations autochtones, après les autodafés et la disparition des fétiches considérés sans valeur marchande ni artistique, après les premiers cabinets de curiosité en Europe, après l’audace des explorateurs de s’aventurer à l’intérieur des terres, après l’essor de l’ethnologie, après l’envoi des armées par les grandes puissances européennes à la fin du XIX ème, après le mythe du « Bon Sauvage » laissant la place à celui du « Primitif », après le désintéressement à l’art étranger et sa profonde inexistence, ouf enfin une inspiration( !) : celle du XXème siècle et la rencontre entre l’art « exotique » et les artistes. Grandes collections privées, musées d’ethnographie, expositions coloniales et universelles élèvent objets et masques au rang d’œuvres d’art.
Ajoutons aussi que, dans le cadre de cette exposition, il est difficile, particulièrement en Belgique, d’oublier un passé colonial riche d’apports culturels pour des auteurs nés à la même époque ou issus de parents expatriés. Les auteurs de bande dessinée n’hésitent donc pas à puiser à cette source intarissable. Un apport(grande petite touche personnelle) de l’Abbaye pour le thème de cette exposition est l’ajout des masques du folklore régional. Deux espaces, l’un pour Malmedy, l’autre pour Stavelot, sont consacrés aux traditions locales. Pour ma part je me suis offert deux voyages- visites de l’exposition « Face à face ». Pour le second j’accompagne une ribambelle d’enfants sur l’invitation de Marie Zinnen , responsable du service éducatif de l’Espace Tourisme et culture de l’Abbaye de Stavelot.
Marie est historienne de l’art et archéologue de formation. Depuis un an, elle a pour mission de créer des animations et de les promouvoir dans les écoles. Ce qui la motive particulièrement c’est que « chez les enfants, dit-elle, il n’y a pas d’hypocrisie, s’ils n’aiment pas ils te le font savoir ! » Cela oblige à être inventive, à relancer leur curiosité par le jeu, la surprise, la plaisanterie et une foule d’informations. Pour cette exposition-ci elle s’est donnée l’objectif d’intéresser les enfants à leur région. « C’est chez vous, votre histoire ». Et vraiment, Marie,qui est originaire de la région, pourrait à elle seule justifier l’octroi d’un soleil supplémentaire de la part de la région wallone (qui décerne ses titres de soleil pour l’accueil touristique) tant elle pétille de bonne humeur et d’entrain à guider le groupe d’enfants, aujourd’hui venu de plus loin : « Les Petits Curieux » de Braine L’Alleud qui en une semaine de vacances ont la chance de découvrir de nombreux sites en Wallonie. Aurélie et Florian ainsi que leurs amis stagiaires, après avoir découvert que chacun porte un masque sur son visage : tantôt joyeux tantôt en colère, débutent le tour du monde par le long corridor des masques du Carnaval de Malmédy. Parmi les quinze costumes du « Cwarmê » de Malmedy, ceux du Sotè et du Long-Né sont exposés en raison du masque qu’ils portent. Coralie affublée du Long-Né, emmène à sa suite la file des enfants, reproduisant la gestuelle de Marie- victime pour l’occasion, avant que celle- ci leur fasse savoureusement répéter à genoux la sentence de la symbolique Haguète (qui portait à l’origine une cagoule pour cacher son visage) : « Pardon Haguète, dju nu l’frès jamês pus ! » Le Savadje Cayèt quant à lui donne une idée de la représentation que les gens d’ici pouvaient se faire, au début du siècle, des indigènes africains que leur propre pays était en train de coloniser. Le début de cette festive après- midi de visite présente ensuite aux jeunes visiteurs le célèbre masque du Blanc Moussi du « Laetare » de Stavelot. Ses origines-le jeune Florian se déguise alors en moine avec la complicité de Marie maniant à merveille la vessie de porc !- l’évolution du masque ainsi que sa « recette » de fabrication aujourd’hui complètement locale et artisanale sont dévoilés dans l’espace qui lui est octroyé. Des illustrations originales de René Hausman, Guy Counhaye, Francis Carin,…révèlent la grande poésie et l’invention ironique de ce masque. Dans la chapelle dédiée au tour d’Europe, à côté de fabuleux masques et costumes du Carnaval de Venise, incontournables, sont exposés des masques intrigants, illustrant les croyances et les légendes venues de Suisse, d’Espagne, et d’Europe de l’Est. Aurélie m’avoue préférer le grand ours « parce que ça fait peur et j’aime bien ce qui fait peur. »
La Belgique, riche elle aussi en traditions, est représentée par les Macrâlles de Vielsalm- les enfants en chœur soutiennent qu’ils refuseront désormais les myrtilles !- un pierrot lunaire du Hainaut, et le fameux masque du Gille de Binche : une multitude de petits pieds frappent le sol quémandant à la terre le retour du printemps. L’imaginaire y trouve aussi sa place avec le masque de fer, tout spécialement conçu pour la bande dessinée de Marc-Renier qui en porte le titre, création contemporaine historico-romanesque ayant servi de modèle au dessinateur.
Et les enfants de gravir les deux étages pour poursuivre cette ouverture au monde des traditions d’ailleurs .Les voici plongés au cœur des cultures traditionnelles de quatre continents : l’Océanie, l’Afrique, l’Amérique et l’Asie.
Plus de vingt masques originaux, impressionnants tant par la qualité de leur réalisation que par leur expressivité, sont mis en évidence en vis-à-vis des vignettes de bande dessinée.
Universels, magiques, envoûtants et destinés à être portés lors de fêtes traditionnelles ou de cérémonies rituelles, les masques se retrouvent souvent aujourd’hui derrière des vitrines, dépouillés des éléments indispensables à leur signification : costume, coiffure, accessoires, musique et danse. Dans l’exposition, les masques retrouvent vie par le biais de la bande dessinée, tantôt très réaliste, tantôt fictive et bercée de cet exotisme, né de leur découverte dans de lointaines contrées.
Un film d’images d’archives ou encore actuelles, prêté par le Musée de Binche, y replace certains masques dans leur contexte traditionnel, où les costumes, les danses, et la musique participent à leur renaissance.
L’animation de Marie pour les enfants s’amuse de l’identification à un animal pour différents masques.
Les enfants redescendent les pieds sur terre, à visage découvert et le sourire aux lèvres de cette généreuse visite haute en couleurs. Ils quittent l’abbaye avant de reprendre le grand car blanc qui va traverser les rues pavées de Stavelot, le long desquelles quelques confettis rebelles voltigent encore !
Quant aux autres…vous avez jusqu’au 6 juin pour aller admirer ce petit bijou d’exposition !
VIVEMENT CONSEILLE.

Marie-Laure Vrancken
(mes remerciements à Marie Zinnen)

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