Quand le séminaire de Bastogne était une école ménagère

écrit par ReneDislaire
le 22/02/2010
la belle epoque

Dans l’après-guerre, les religieuses surabondaient à Bastogne.
Les Conceptionnistes se cloîtraient route de La Roche. A l’Institut éponyme étaient emmurées les doctes professes de Notre-Dame. Les Sœurs des pauvres de St-François avaient colonisé l’hospice St-Joseph et la clinique Ste-Thérèse route de Wiltz, et un redan du séminaire.

Nous poursuivons le témoignage sur les dessous de la cohabitation secrète de quelques dizaines de jeunes filles invisibles et de quelques centaines de jeunes gens aveuglés par une présumée vocation sacerdotale. En effet, une petite école ménagère recélait dans le Séminaire de Bastogne.

Deuxième partie : le cinoche qui rapproche, le supplice de l’office
Le septième art

Le dimanche après-midi, dans la salle des fêtes aussi inconfortable que malodorantes les commodités, il y avait cinéma.
Tous les Don Camillo sont passés. Parce qu’à Fernandel c’était Gino Cervi qui faisait la réplique : bel homme, mais homme. Donc l’innocuité faite pellicule.
Tous les Pierre Fresnay sont passés. Compagnon à la ville d’une Yvonne Printemps jalouse comme la bête d’Esso, il se voyait exercer par celle-ci un droit de veto sur toute comédienne partenaire qui ne fût pas moche. Le premier interprète de la trilogie de Pagnol se surpassait d’ailleurs quand il n’avait pas de partenaire du tout. Aucun péril moral, foi de corbeau…

Quand tous étaient assis, extinction des lumières, la projection pouvait commencer.
Et bien non.
Il arrivait que le noir dure quelques minutes, le temps qu’au moyen de la faible lueur d’une lampe de poche on installe dans les trois dernières rangées nos cohabitantes dont l’état-major tolérerait qu’elles nous soient un instant proches, mais à condition d’être aussi sympathiques que de l’encre.
Elles avaient deux consignes.
Ne pas faire de bruit avec les sièges pliants en fer rouillés aux articulations et qui n’étaient, bien entendu, pas fixés à une chape outrageant l’acoustique.
Deuxième consigne : en aucun cas, ne rire de façon audible.
Dieu et Satan seuls savent les effets délétères d’un gai murmure féminin atteignant d’un adolescent les oreilles, dont les yeux sont dans l’obscurité.
Ces jours-là, pas d’entracte.
Le projectionniste était tenu à l’exploit de changer les bobines en moins de temps qu’il le fallait pour se douter de quelque chose.
Rebelote à la fin du film. Avant de rallumer, les pauvrettes devaient avoir vidangé en douce et regagné la clôture des Sœurs des pauvres.
Le but avait été atteint : nous sortions en ne pensant qu’au film.

Les vêpres
Parfois, elles venaient aux vêpres.
Comme au cinéma, c’est après notre installation sur les banquettes reluisantes de cire astiquées de leurs bras qu’elles se pelotonnaient aux deux dernières rangées.
Au besoin, Monsieur Massart haussait de quelques décibels l’intensité de son harmonium pour couvrir leurs pas et friselis.
L’infériorité dogmatique de leur condition les situait derrière la masse : tel était le nom du peuple de Dieu que l’abbé Dacremont, éclairé par ses valeurs d’apartheid sonore, avait prononcé inapte à la psalmodie.

Les vêpres, c’est à 5 heures.
Et pas moyen d’occulter la chapelle.
Alors, Mesdemoiselles, lorsqu’un élève, plus intuitif que d’autres, retournait la tête et vous portait atteinte de ses mirettes, il subissait aussitôt les foudres qu’avait méritées la profanation de ce lieu terrible en raison de vos leurres (Luc 19,46).
Il était prié de se mettre à genoux et d’y demeurer le restant des vêpres. A genoux, mais pas n’importe où : sur la grille du chauffage à air pulsé, au milieu de l’allée centrale.
Le but était atteint : jusqu’au Magnificat, ce n’est plus les pompes vicieuses de Satan qu’on regarderait, c’était le pénitent avili par un juste châtiment.
Ce supplice avait été mis au point par Philippe II d’Espagne, dit-on, un jour de la Saint-Laurent.

(à suivre)

René Dislaire

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QUAND LE SEMINAIRE DE BASTOGNE ETAIT UNE ECOLE MENAGERE

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