"Henri De Braekeleer, Fenêtre ouverte sur la Modernité"
« Si cette mode existait encore, qui consacrait un peintre par ce qu’il peignait de préférence, on baptiserait Henri De Braekeleer : le peintre de la fenêtre », écrivit Emile Verhaeren (1855-1916), en 1891.
Jusqu'au dimanche 02 février 2020, le "Musée provincial Félicien Rops", à Namur, en collaboration avec le "Musée royal des Beaux-Arts", à Anvers, nous propose une fort belle exposition consacrée à l'artiste anversois Henri De Braekeleer (1840-1888), qui, 8è enfant sur 11, poursuivi ses études, de 1854 à 1861, à l'"Académie royale des Beaux-Arts", à Anvers.
Dans la première salle, plusieurs tableaux évoquent l'ambiance de l'atelier, celui de son père ou le sien, l'artiste peint au travail nous tournant le dos, pendant que le modèle nous fait face.
Fils du peintre Ferdinand De Braekeleer (1792-1883) et neveu d’un autre peintre Henri Leys (né Jan August Hendrik Leys/1815-1869), ses frères étant l'un sculpteur et l'autre propriétaire de la "Belgian Art Gallery", à New York, Henri De Braekeleer va être repéré par le marchand d'art Gustave Coûteaux, qui lui passera des commandes, le rétribuant, mensuellement, de 1869 à 1876.
Concernant la présence, dans ses oeuvres, "de fenêtres, d'encadrements, de portes, de grilles, elle a pour fonction d'organiser une profusion d'informations isuelles, afin de créer la perspective la plus parfaite possible", nous explique-t-on au sein de l'exposition namuroise.
Le 30 septembre 1876, ayant livré à Gustave Coûteaux les derniers tableaux du contrat qui lie les deux hommes : "L'Aquarelliste" et "La Place Teniers", l'artiste anversois s'arrête de peindre, sans que l'on n'en connaisse les raisons.
Faute de n'avoir pas pû découvrir de nouvelles toiles d'Henri De Braekeleer, lors de l'inauguration de l' "Exposition générale des Beaux-Arts", à Bruxelles, l'on peut pouvait lire, en 1881, dans la revue critique hebdomadaire bruxelloise "L'Art moderne" : "Mais qui nous rendra les merveilles que les petits Flamands ont accomplies ? Peut-être eût-ce été Henri De Braekeleer si les circonstances ne semblaient pas ralentir la production de cet admirable peintre... Est-ce que son long silence est enfin rompu ? Est-ce qu'il revient au combat ? Est-ce que ce grand talent, trop longtemps assoupi, se réveille ?"
Hors, en 1874, sa toile "L'atelier" (1873) avait été achetée, en vente publique, au prix, élevé pour l'époque, de 6.700 francs belges (l'équivalent de... 160.000 euros actuels), prouvant l'intérêt que son talent succitait.
Décrivant le travail d'Henri De Braekeleer, en 1872, dans un journal suisse, "La Liberté", fondé en 1871, l'on pouvait lire : "Cette vibration intime, extraordinaire, pénétrante, qui prend possession de vous... C'est ce mystérieux et incompréhensible poème de la couleur qui chante et resplendit dans (ses) toiles... Ce caractère particulier de l'artiste, qui voit en couleur, qui est vraiment peintre, pour qui la poésie des tons est la vraie lumière, absorbant tout jusqu'au sujet, presque jusqu'au dessin, étrange vision, qui fait passer toute l'âme et tout le sang de l'artiste, dans la richesse et l'harmonie de la couleur vivante."
Notons ce que Paul Mantz, critique d'art, avait écrit, onze ans plus tôt, en 1861, dans"La Gazette des Beaux-Arts" (Paris/1860-1899), alors qu'Henri De Braekeleer avait 21 ans : "Le jour ou Ferdinand De Braekeleer a vu son fils se précipiter dans cette voie de réalisme à outrance, il a dû se voiler la face et invoquer la clémence du ciel. Consolons le père attristé, disons-lui que, malgré la vulgarité du motif, le tableau exposé par son fils est un début des plus intéressant, les moindres détails y sont tellement à leur place, les figures sont si vraies d'attitude et de couleur, la lumière est si juste, qu'on ne peut s'empêcher de croire que le jeune artiste qui commence ainsi sera bientôt un peintre habile."
Le "Groupe des XX", cercle artistique d'avant-garde fondé, en 1883, à Bruxelles, le reconnait comme étant l'un des plus importants peintres belges réalistes de la seconde moitié du XIXè siècle. Quant au Malinois Rik Wouters (Hendrik Wouters/1882-1916) s'enthousiasme par la fluidité de sa peinture, rapprochant son oeuvre de celle de l'Ostendais James Ensor (1860-1949). Ainsi, en 1912, il écrivait à Simon Lévy, dont il réalisera le portrait l'année suivante : "Cela m'a fait penser à Ensor avant son temps... Peint avec une grande fluidité, comme une aquarelle (à l'huile). Il y avait du gris rosâtre et du gris argenté, des petites choses vermillon, qui rampent sur les tissus et les objets... On pourrait facilement imaginer un tableau d'Ensor, esquissé, prêt à être retravaillé de manière un peu plus nerveuse par-ci, un peu plus froide par là."
En 1885, Vincent Van Gogh (1853-1890) écrivait à son frère : "Cher Théo,... j'ai vu diverses belles choses, deux études d' Henri De Braekeleer, tu sais qu'il n'a rien à voir avec le vieux De Braekeleer, je parle de celui qui est un coloriste célèbre et qui analyse avec rigueur, dans l'esprit d'Edouard Manet (1832-1883, ndlr), tout du moins aussi original que Manet... Je ne range pas Henri De Braekeleer parmi les gens qui partout cherchent des effets nacrés, car chez lui, il y a un curieux, un très intéressant effort pour chercher l'exactitude de près et il est très personnel."
Ainsi, en 1870, il écrivait à son "coach", Gustave Coûteaux : "J'ai l'honneur de vous informer que j'ai renoncé à mon projet de peindre "La Soeur hospitalière", vu la difficulté de me procurer le costume de cet ordre religieux."
Venant d'évoquerGustave Coûteaux, signalons que son contrat, avec l'artiste anversois, précisait : "Pour ces paiements, le second soussigné (l'artiste, ndlr) exécutera les tableaux d'après les sujets et les dimensions indiquées par M. Coûteaux, mais en interprétant les compositions avec toute l'indépendance nécessaire à l'artiste."
"Pour mieux comprendre la pensée des contractants, tel sujet indiqué par le pemier soussigné sera composé par le second soussigné d'après son sentiment artistique. M. Henri De Braekeleer consacrera tout son temps à l'exécution des tableaux et ne pourra s'occuper d'autres traaux pendant la durée du contrat."
Artiste ne cherchant pas le luxe, d'Amsterdam, en 1864, il écrivait à ses parents : "La chambre où je suis logé esr très petite et très gaie, elle donne sur la rue...Il fait tellement froid que l'eau gèle à mon verre... Je vais au musée, un demi florin... Je rentre à mon hôtel, 3 heures, très content d'aoir vu de si belles choses."
Son œuvre s’inspire principalement de la peinture de genre néerlandaise du 17è siècle et semble indissociable de la redécouverte du travail des peintres néerlandais Pieter de Hooch (1629-1684) et de Jan Vermeer (Johannes Van der Meer/1632-1675). Couturières ou potiers au travail, penseurs ou intellectuels en pleine méditation, les peintures les plus connues d’Henri De Braekeleer détaillent ces instants du quotidien. Le personnage, absorbé dans une activité banale, se trouve au milieu d’un atelier ou autre pièce, dont le décor est minutieusement représenté.
En 1885, Vincent Van Gogh (1853-1890) écrivait à son frère : "Cher Théo,... j'ai vu diverses belles choses, deux études de Henri De Braekeleer, tu sais qu'il n'a rien à voir avec le vieux De Braekeleer, je parle de celui qui est un coloriste célèbre et analyse avec rigueur et qui analyse avec rigueur. Dans l'esprit d'Edouard Manet (1832-1883, ndlr), tout du moins aussi original que Manet... Je ne range pas Henri De Braekeleer parmi les gens qui partout cherchent des effets nacrés, car chez lui, il y a un curieux, un très intéressant effort pour chercher l'exactitude de près et il est très personnel."
Bien plus près de nous, en 1956,Walther Vanbeselaere (1908-1988), ancien conservateur en chef du"Musée royal des Beaux-Arts", à Anvers, écrivit dans le catalogue d'une exposition organisée dans cette ville portuaire : "L'art de De Braekeleer est un hymne à la gloire de la lumière, qui est promesse et vie, transcendant un coeur si profondément accablé par une incurable mélancolie qu'il cherche intuitivement le salut auprès de ce qui est ancien et à l'article de la mort, ce témoignage d'une condition humaine élogieuse et meurtrie jaillit de l'oeuvre de De Braekeleer, avec une telle résonance d'indulgence de coeur pur, qu'on se demande si ce n'est pas le message le plus noble de notre XIXè siècle;"
Reconu pour son travail de la lumière, il obtint plusieurs Prix, dont une"Médaille d'Or", au "Salon de Bruxelles", en 1872 pour "Le Géographe" et "La Leçon", de même qu'à l' "Exposition internationale de Vienne", en 1873, pour "L'atelier du Peintre" et "La célébration de l'Anniversaire de Grand-Mère". L'Etat belge ayant acheté, en 1874, des toiles d'Henri De Braekeleer, ce dernier fut décoré, en 1882, comme "Chevalier de l'Ordre de Léopold II".
N'hésitons donc pas à découvrir cette exposition, qui - via quarante tableaux, dessins, eaux fortes, gravures, et lithographies, certaines oeuvres provenant de collections privées - met en lumière la modernité de la peinture d' Henri De Braekeleer, un virtuose du 19è siècle, qui n'avait plus été exposé depuis 30 ans, un artiste qui ne laisse rien au hasard, atmospères, costumes, objets, ... étant baignés, avec tout le réalisme voulu, d'une douce lumière, nous rendant toute l'intimité du moment...
... Et si aucune création du Namurois Félicien Rops (1833-1898) ne figure au sein de cette intéressante exposition temporaire, soulignons qu'une sélection de ses oeuvres est présentée au sein de la collection permanente, dont sa bien connue "Tête de vieille Anversoise" (1873), un portrait dont la précision d'exécution est à assimiler à celle propre à l'Anversois Henri De Braekeleer - est présentée au sein de la collection permanente.
A noter que le "Musée provincial Félicien Rops" remporta à deux reprises, à Bruxelles, en 2008 et en 2014, le trop éphémère"Prix des Musées", le "Prix du Public" lui ayant été octroyé en 2007.
Ouverture : jusqu'au dimanche 02 février 2020, du mardi au dimanche, de 10h à 18h (fermé ces mardi 31 décembre et mercredi 1er janier. Prix d'entrée de l'exposition temporaire : 3€ (1€50, en tarif réduit / 1€ par étudiant, au sein d'un groupe scolaire). Prix combiné, incuant l'accès à la collection permanente : 5€ (2€50 / 1€50). Gratuité : pour les moins de 12 ans, les "Art. 27" et, pour tous, ce dimanche 05 janvier. Audioguide (recommendé) : 2€. Catalogue (par Herwig Todts/Ed. de la Province de Namur/158 p./35€). Site web : https://www.museerops.be/.
Yves Calbert.