« L’Enjambée », entre Namur et Jambes
Ce jeudi 08 juin, l’Echevin namurois – de la géographie urbaine, de l’aménagement du territoire, de la citadelle, de la politique foncière, de l’éclairage public et de l’énergie – a révélé le nom qui sera donné à la future passerelle, qui reliera Namur, capitale de la Wallonie, à Jambes, ancienne localité de la Principauté de Liège, ayant été rattachée à Namur, le 1er janvier 1977, époque où la Belgique passa de 2.359 villes à 596 (589, depuis 1983, dont 262 en Wallonie, pour 308 en Flandres et 19 en Région de Bruxelles).
… Et donc, d’ici un an, pour enjamber la Meuse, entre le « Grognon » et la jolie « Villa Balat », nous pourrons, à pied ou en vélo, voire en « roller » ou en « skateboard », emprunter « L’Enjambée », « une prouesse technologique épurée et élancée » (dixit Arnaud Gavroy), qui se caractérisera par sa très fine épaisseur en son milieu (30 centimètres), sa longueur devant atteindre une centaine de mètres, pour six mètres maximum de largeur, se ramenant à quatre mètres aux extrémités, puisque deux mètres seront consacrés aux escaliers qui la relieront le halage. A noter qu’à l’image du tout proche « Pont des Ardennes » (inauguré en 1954, étant alors le plus long pont d’une seule portée, en Belgique), aucun pilier, implanté dans la Meuse, n’est prévu,
« L’Enjambée » se contenant de posséder deux béquilles, qui seront implantées sur les chemins de halage de part et d’autre du fleuve.
Mais revenons au choix du nom, consécutif à un appel citoyen lancé par la Ville de Namur. Ainsi, en un seul mois, Du 1er au 30 avril, pas moins de 1.100 citoyens proposèrent leur choix, 750 noms différents étant confiés au jury, composé de dix personnes, dont quatre élus, représentant quatre partis (le CDH, via Maxime Prévot, le Bourgmestre en Titre; le MR, via Anne Barzin, échevine déléguée aux compétences mayorales; le PS, via Eliane Tillieux, conseillère communale; et Ecolo, via Arnaud Gavroy, le Président du jury), les six autres membres étant de simples citoyens, choisis en fonction de leurs compétences artistiques, culturelles ou scientifiques: Gilles Bazelaire, directeur du « Kikk Festival »; Isabelle Bourlon, alias « Folisabelle », artiste jamboise; Carine Charlier, pour la cellule Géographie urbaine de la Ville; Jean Germain, secrétaire de la « Commission royale de toponymie et dialectologie »; Xavier Istasse, cinéaste, réalisateur du film « Les Gens du Fleuve » et photographe, notamment pour le livre « La Meuse de Namur à Hastière »; et Marc Ronvaux, romancier et historien.
Chacun relevait ses dix noms préférés. De la nouvelle liste établie, forte de moins de cent noms, il fut demandé à chaque membre du jury de ne retenir que trois noms, le 1er donnant trois points, le second deux et le troisième un, répondant à quatre critères, ce nom devant être:
- compréhensibles, que chacun, Namurois ou visiteur, puisse se l’approprier et l’employer;
- court, évoquant la fonction et le lieu;
- à la hauteur de l’ambition du projet;
- tourné vers le futur et non passéiste, devant créer l’histoire et non la commémorer.
Suite à ce second tour, les huit noms ayant remporté le plus de points furent: Acolade, Esperluette, Gambette, Passeroulette, Rawette, Rêveuse, Enjambeuse et … Enjambée, ce dernier ayant été retenu, par le jury, au terme d’une longue discussion, chacun expliquant son choix, lors de sa réunion du 29 mai, pour quatre raisons, ce nom:
- étant facilement appropriable;
- faisant référence à Jambes;
- marquant le franchissement;
- marquant le dynamisme d’une ville en mouvement, franchissant les obstactes.
Notons qu’en wallon namurois, « Enjambée » se traduit par: « Ascauchîye », l’expression « fé l’grande ascauchîje » se traduisant par « se marier », ce qui illustre fort bien cette nouvelle jonction entre deux anciennes villes rivales, la bourgeoise, Namur, et l’industrielle, Jambes, qui dut sa réputation, jusqu’en 1977, à la construction et au montage des boules de l’ « Atomium », par les « Ateliers de Construction de Jambes », autrefois situés sur l’actuel site de l’ « Acinapolis »; les confitures « Materne », fondées par la famille des deux derniers Bourgmestres de Jambes, Jean et Raymond Materne; et les moutardes « Bister », cette sprl étant, en 2016, la dernière à quitter le territoire jambois.
Les « anciens » se souviennent, par ailleurs, que les derbys footballistiques, en division deux nationale, opposant l’ « Entente sportive jamboise » et l’ « Union Royale Namur » valaient bien ceux opposant toujours le « Sporting Club d’Anderlecht » au « Standart de Liège ». C’était la « belle époque » des stades combles, tant à Jambes qu’à Namur, … et des échanges, parfois violents, entre supporters des deux clubs rivaux.
… En remontant le temps, ce qui plaira à l’Echevin Arnaud Gavroy, ancien Professeur d’Histoire – qui eut, entre autres, comme élèves, les acteurs Cécile de France et Philippe Vauchel – notons qu’un pont reliait déjà Jambes à Namur, dès l’époque romaine. Au 17ème siècle, attesté par une gravure réalisée en 1697, ce « Vieux-Pont de Jambes » possédait, en son milieu, la « Tour Beauregard », qui constituait le poste frontière entre le Comté de Namur et la Principauté de Liège, le Prince Evêque Jean de Flandres possédant, à Jambes, dès 1285, sa résidence, la « Tour d’Anhaive » – édifiée en calcaire de Meuse et, autrefois, entourée de douves -, où il décéda, en 1291. Rénovée à la fin du 20ème siècle, elle est le siège actuel du « Centre d’Archéologie, d’Art et d’Histoire de Jambes », abritant une antenne du « Syndicat d’Initiative de Jambes ».
Lors de la conférence de presse, l’Echevin de la géographie urbaine insista sur le fait qu’aujourd’hui la Ville de Namur possède deux centres-villes, celui de Jambes complétant celui de Namur, d’où l’importance d’édifier ce nouveau trait d’union entre ces deux centres, reliant, également, le siège du Gouvernement wallon, l’ « Elysette », sis dans la résidence du dernier Bourgmestre de Jambes, et le « Parlement wallon », sis dans l’ancien « Hospice St.-Gilles », édifié au 13ème sièle, comme hôpital, pour devenir un hospice, jusqu’en 1965, avant de recevoir sa fonction actuelle, dès 1998.
Outre Arnaud Gavroy, qui ne voulait pas que l’on parle d’une « Belle Namuroise », comme l’on a, depuis un an, la « Belle Liégeoise », trois autres membres du jury participaient à la conférence de presse: Anne Barzin, Eliane Tillieux et, représentant les simples citoyens, Marc Ronvaux, qui, en souriant, suggéra que le précompte immobilier soit également, à l’avenir, soumit à un appel citoyen, ajoutant, plus sérieusement, qu’il saluait la démarche d’avoir voulu donner un nom à cette future passerelle, évitant que ce mot soit reprit par les Namurois, comme pour celle de Salzinnes, à laquelle aucun nom n’a été donné.
Prouvant que cet appel citoyen intéressa, aussi, des personnes ne résidant pas à Namur, Luc Moës, Père à l’Abbaye de Maredsous, était également présent, lui qui fut le premier à proposer le nom retenu, à savoir l’ « Enjambée », 81 autres citoyens faisant de même. Soulignant la richesse de la langue française, il insista sur le fait que ce nom, n’étant constitué que de trois syllabes, était d’une utilisation facile dans tout discours. Son second choix se portait, comme pour l’ensemble du jury, sur l’ « Enjambeuse », mais, comme l’avait souligné Arnaud Gavroy, ce nom fut écarté, de crainte de ne pas être accepté par tous, Namurois ou autres, vu sa conotation sexuelle, le Père ajoutant, pince sans rire: « même si cela ne nous concerne pas tous! »
A noter que l’emplacement de l’ « Emjambée », choisi en 2012 – trois propositions ayant été faites, à l’époque, par la Ville de Namur -, nécessita l’expropriation, sur la rive jamboise, de trois maisons, désormais disparues du paysage mosan.
Tout comme au « Grognon », des fouilles archéologiques s’y déroulent… Et, au grand bonheur des archéologues, en cet endroit, jouxtant la « Villa Balast », l’on vient d’y découvrir une petite clef de coffret en bronze, boursouflée de corrosion, et une pièce de jeu d’échec en ivoire, un cavalier très stylisé, remontant au Moyen Age, des pièces rares qui attestent de la présence d’un habitat lié à l’aristocratie des 11ème et 12ème siècles…
Du passé, revenons au présent avec cette dynamique « Enjambée », qui facilitera tant la convivialité que la mobilité sans moteur, ce nom étant facile à prononcer, laissant entendre un énergique élan, à pleines jambes, ce dernier mot évoquant aussi bien notre déplacement à pied ou en vélo, voire en « roller » ou en « skateboard », que le nom du second centre urbain de Namur… Et, avant même sa construction, il nous reste à souhaiter une longue vie à « L’Enjambée ».
Yves Calbert.