Houffalize. 1956. Panique pour Suez

écrit par ReneDislaire
le 15/02/2020

La crise du canal de Suez, expression qu’on a donnée à ce qui fut en réalité une guerre, a eu lieu en 1956.
La situation dans cette région du monde était beaucoup plus complexe qu’aujourd’hui, où bien malin qui s’y retrouve : c’est tout dire.
Nous la résumerons ainsi : la France, L’Angleterre et Israël sont entrés en guerre contre l’Egypte, qui avait bien sûr toute une série d’alliés arabes, plus la Russie et le Japon. Il s’ensuivit que le canal de Suez se vit bloqué, ce qui coupait l’approvisionnement de l’Europe venant d’au-delà, notamment en pétrole.
La tension internationale faisait craindre le pire.
Soit.
À Houffalize comme partout, on craignait, non pas la guerre, mais des impossibilités d’approvisionnement, des pénuries, une famine.
C’est durant les mois de novembre et décembre 56 et en janvier 57 que furent institués les premiers dimanches sans voiture (donc rien à voir avec ceux de 1973).

Le sucre
Ceux qui ont vécu l’époque et qui comme moi n’en ont que des souvenirs se remémoreront que la panique se cristallisa sur le sucre.
Le sucre de Tirlemont était conditionné en paquets de 9 kilos. On en fit des provisions et des provisions. Les magasins épiceries renouvelaient et renouvelaient leurs stocks.
L’Économie Populaire de Ciney et la Coopérative socialiste respectivement dans le bas et le haut de la rue de Schaerbeek (oui, les épiceries étaient confessionnalisées). Julia et Anne-Marie Verheggen, deux épiceries tenues, mais bien distinctes, par la mère et la fille, là où c’est le restaurant turc en cette année 2020. Julia et Anne-Marie, les spécialistes des lacets noirs anisés comme du carabouya à un franc et des bâtons de réglisse à tout autant, sur le chemin de l’école. Une épicerie était au niveau de la rue de Schaerbeek, l’autre de la Ville Basse. Alphonse et Louis Collette, le père et le fils, l’un au bout de la Ville Basse, l’autre où… c’est en 2020 Autre Chose, au Crucifix. Le Delhaize, au complet Delhaize le Lion, tenu par Pol Briol je crois. Chez Delcroix, au pied du Bois des Moines. René Lamy, près du pont de la route de Liège. Théophile Collin, à gauche en montant la route de Bastogne. Telle est la liste, sauf erreur, des épiceries de la guerre de Suez.
Le Spar d’Henriette Cornet n’existait pas encore. Ni chez Chalsèche. Ni l’Abeille de Fernand Gottal.
Les provisions exagérées de sucre furent bientôt interdites, pour des raisons que nous dirons morales. N’empêche que certains Houffalois n’étaient pas encore au bout de leurs réserves 25 ou 30 ans après Suez.

Pourquoi le sucre ? Allez savoir.
Peut-être parce que Charly Gaul, l’Ange de la montagne, un des meilleurs grimpeurs du XXe siècle, notre voisin luxembourgeois vainqueur de tours d’Italie et de France, carillonnait dans toute l’Europe qu’il devait son énergie à une consommation de sucre pantagruélique.
Peut-être parce que l’on vivait encore dans une relative autarcie alimentaire, où toutefois le sucre faisait défaut.
Bien des gens cultivaient un jardin. On avait stérilisé les légumes dans des Wecks. Les stocks de pommes de terre se calculaient parfois en mètres cubes dans les caves. Dans les familles nombreuses au moins une grosse d’œufs sommeillaient dans la saumure. Et puis il y avait encore de-ci de-là le cochon familial sacrifié aux alentours de la Toussaint, ou qu’on achetait à deux familles au village.
Qui buvait autre chose que de l’eau du robinet, telle qu’elle ou ayant percolé dans un ramponeau ? Pour le lait, il y avait les frères Georges et Albert France, et Joseph Maréchal. Les pommes de terre chez Jules Darte. Et la fille Wilmotte venait de Cowan au tram faire sa tournée hebdomadaire de beurre et de maquée.

On n'allait manquer de rien. Qu'on disait. Mais si l'essence venait à faire défaut, René Verheggen pourrait-il aller à Liège deux ou trois fois par semaine se fournir en légumes pour lui et d'autres épiceries de Houffalize sous-traitantes? Et le camion de Piedboeuf venir de Jupille pour ravitailler la brasserie Otto? Et Louis Stréveler se rendre aux charbonnages remplir le camion de "Monsieur Charles" Mathurin dont il bennerait la houille devant les maisons sur le trottoir qui donnait sur le soupirail de la noire cave ? Et Camille Lesage se rendre à Obourg pour en ramener du ciment? Et Monsieur Mativa donc, le pharmacien!

Les dimanches sans voiture
Au début, les Houffalois perdus dans leurs sapins se croyaient à l’abri de l’œil et des paluches de la maréchaussée. Que nenni ! Les pandores avaient trouvé trop bonne l’occasion de faire de leur rigidité sous le prestigieux uniforme le symbole de leur virilité séductrice.
Seuls les médecins et les ministres du culte avaient une dérogation maïorale pour leurs besoins professionnels.
Pour le reste, des actes qui n’avaient d’incivilité que l’apparence permettaient aux hâbleurs de faire ostentation de leur caractère frondeur et de leur insolence.
Ainsi, le bruit s’était répandu qu’Untel se vantait de se rendre à la messe un dimanche avec sa voiture. Je ne vous dirai pas le nom de ce Untel ni de celui dont le cheval tracta la Studebaker de son domicile à l’église Ste-Catherine… Tel cultivateur avait plaisir à venir décharger son bignon d’ancine hippotracté (tombereau de fumier tiré par un cheval) le dimanche à l‘heure de la sieste. Juste pour faire un peu de circulation interdite dans la ville des Bordjeus.

Voilà. Si cette histoire de la crise de Suez vous a plu, remerciez donc la crise du Corona virus qui m’a conduit à l’écrire. Ne commence-t-elle pas à inquiéter pour d’autres raisons que sanitaires?
Car il se pourrait que l’histoire se répète.

René Dislaire © Houffalize, le 15 février 2020.

1956. La crise de Suez. En même temps un jalon dans la vie de la communauté houffaloise. Il est bon parfois de se souvenir des grands événements internationaux dont les effets ont jalonné la vie de la cité, ou de s’en instruire.

Liens vers les publications de l’auteur en 2020 et 2018 :
Humour (+/- 100 articles)
L’Offensive von Rundstedt (+/- 50 articles)
Poésie, actu, linguistique…

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