EXQUISES PETITES MORTS, nouvelles par Liliane Schrauwen
Résumé
L’amour… On le cherche, on le poursuit, on le fait et le défait, on en jouit, on en souffre. On le chante, l’écrit, le peint, le joue et le feint… On meurt pour lui, ou l’on tue. Mais que recouvre ce mot ? Nous aimons Dieu (parfois), notre patrie (rarement), nos parents, nos enfants. Nous aimons rire et chanter, nous aimons le sport, le cinéma, et même le chocolat ou le bon vin. Nous aimons nos rêves, nous aimons aimer. Nous aimons, aussi et surtout, cette moitié d’orange dont on nous a dit et répété qu’elle existe, qu’elle est là, quelque part, à nous attendre, et qu’elle comblera tous nos désirs, tous nos besoins.
Le même terme pour désigner tant de choses : possession, jouissance, domination, jalousie, volupté, tendresse, sacrifice… Depuis toujours, Éros et agapè jouent à cache-cache pour mieux nous tromper. Parfois, ils se trompent eux-mêmes, et tout dérape. Le bus fait une embardée, la déception nous dévore, la belle endormie oublie de se réveiller, la foudre frappe pour de bon…
Extrait
Au bout d’un moment, j’ai quand même levé les yeux vers le visage de l’homme assis en face de moi. Je savais que c’était un homme parce que mes genoux touchaient presque les siens qui se trouvaient enveloppés dans un pantalon incontestablement masculin.
J’ai lancé un regard vers lui, et j’ai ressenti une sorte de choc. Il était jeune, entre vingt et trente ans je dirais, et surtout, il était prodigieusement beau. Les yeux clos, très pâle, la tête appuyée à la paroi capitonnée du bus, il semblait dormir, ce qui me permettait de l’observer sans réserve. Je me suis dit que je n’avais jamais rien vu d’aussi parfait que ce visage. Ses cheveux très noirs lui retombaient sur le front en mèches souples. Dans la narine droite, il avait une sorte de tampon imbibé de sang. Je me suis aussitôt mise à imaginer toutes sortes de possibilités, parmi lesquelles j’ai fini par opter pour celle qui me paraissait la plus vraisemblable : il devait sortir d’un hôpital où l’on avait pratiqué sur lui une quelconque intervention, bénigne sans doute, mais tellement douloureuse et, surtout, spectaculaire. Sa beauté et sa pâleur, la finesse de ses traits, le noir de ses cheveux, ce sang d’un rouge agressif, tout cela constituait une image étrangement attirante que rehaussait pour moi l’évidence de sa souffrance.
J’ai compris qu’il ne dormait pas, car ses cils par moments frémissaient. Il devait être assommé par les vestiges d’une anesthésie ou par les antalgiques. Sa bouche parfois se crispait légèrement, et une ride verticale se creusait entre ses sourcils comme sous l’effet de la douleur, à chaque arrêt et à chaque cahot du bus.
J’ai ressenti, quelque part tout au fond de mon ventre, très bas, une tension, un trouble, une chaleur inconnue. J’étais innocente en ce temps-là ; je n’aurais pu mettre un nom sur cet ensemble de sensations nouvelles et ambiguës. Quelque chose s’était éveillé en un lieu mystérieux de mon être, quelque chose de physique et d’émotionnel à la fois. Comme un tremblement, une fièvre légère, un manque, une faim, un besoin, un vide à combler. Mon cœur battait vite et fort, une sorte de palpitation remuait au creux le plus secret et le plus sombre de mon corps. Cela a grandi jusqu’à me remplir toute, c’était douloureux et délicieux. J’avais l’impression que la mer montait en moi, se gonflait de vagues violentes et sucrées avant de déferler loin à l’intérieur des terres, bien au-delà des digue.
L’auteur
Liliane Schraûwen a fait des études de lettres qui l’ont menée à l’enseignement et à l’écriture.
Elle est l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles publiés en France et en Belgique, ainsi que d’une enquête historique sur la mort mystérieuse du pape Jean-Paul Ier et de plusieurs ouvrages consacrés aux Grandes Affaires criminelles de Belgique, qui ont connu un net succès.
Elle a également été directrice de collection aux éditions Marabout. Nègre et rewriter à l’occasion, elle s’occupe de coaching littéraire.
Elle a obtenu le Prix littéraire du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Prix Emma Martin, et a été finaliste du prix Rossel.
Editions M.E.O.
148 pages
ISBN : 978-2-8070-0239-5 (livre)
978-2-8070-0240-1 (PDF)
978-2-8070-0241-8 (ePub)
15,00 EUR (Imprimé) – 8,99 EUR (e-book)