Dans le Cadre de "Lille 3000-Utopia", "La Forêt magique", au "Palais des Beaux-Arts", jusqu'au 19 Septembre

écrit par YvesCalbert
le 23/07/2022

« La Nature est un temple où les vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles / L’Homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers. » (Charles Baudelaire {1821-1867}/« Les Fleurs du Mal »/1857).

Avant l’homme, il y avait la forêt, lieu privilégié de la faune et de la flore, l’homme ayant longtemps vécu avec elle. Si pour beaucoup, elle est devenue un lieu de promenades, de ressourcement, elle est gravement menacée par …  l’homme, du moins par certains chefs d’Etats, comme en ce qui concerne la forêt amazonienne, au Brésil, qui – selon l’ « INPE » (« Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais« ), sis à Sao Paulo -, a été déboisée de 8.712 km², du 1er août 2020 jusqu’au 31 juillet 2021, pour 9.126 km², l’année précédente …

… Mais tel n’est pas le propos de cette exposition artistique, qui vise à démontrer que, source inépuisable d’inspiration, la forêt a toujours suscité l’imaginaire et éveillé la créativité des artistes et poètes, qui ont tenté d’en percer les mystères. Riche d’une cinquantaine d’oeuvres aux médiums variés (peintures, installations & extraits de films), la présente exposition s’attache à s’interroger sur les liens que l’homme entretient avec la forêt, nous invitant à la contemplation, à la méditation et à la réflection.

Tantôt vénérée et crainte, tantôt protégée et détestée, la forêt habite notre imaginaire depuis des temps immémoriaux. Parmi les femmes et les hommes, bon nombre d’artistes ont porté un regard singulier sur l’arbre et la forêt, pressentant leur importance dans l’équilibre du monde vivant.

Se déclinant au sein de deux espaces, « La Forêt magique », nous propose d’abord, dans l’atrium, libre d’accès, dans une structure ciculaire de 170m², « Pleasant Places » (2011), de l’artiste italien David Quayola (°1982), une installation vidéo à 360°, cette oeuvre monumentale nous dévoilant des arbres agités par le mistral, dansant sous nos yeux, avant de se transformer en une peinture vivante. Ayant séjourné dans la campagne provençale 125 ans après Vincent Van Gogh (1853-1890), il imagina ce que ce peintre néerlandais avait pu voir, sa palette contempraine devenant, ici, digitale, l’image passant du réel au traitement digital fantasmagorique.

Ainsi, en utilisant la technologie, David Quayola – lauréat, en 2011, du « Prix de la meilleure Vidéo », de la 54è « Biennale de Venise » – nous permet de pénétrer les différents éléments de la nature, bien au-delà de notre propre vision, son enregistrement des mouvements des feuilles et des branches nous restituant cette mobilité insaississable, que beaucoup ont tenté de reproduire en peinture.

« Nous voulons faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest », écrit le botaniste français Francis Hallé (°1938), auteur du manifeste « Pour une Forêt primaire en Europe de l’Ouest » (Ed. « Actes Sud »/2021).

Sur un ruban de 40m de longueur, entourant cette rotonde, textes et photographies illustrent ce projet, consistant à reconstistuer, en Europe de l’Ouest, une forêt primaire, c’est à dire, qui n’a pas été ni défrichée, ni exploitée, ni modifiée de façon quelconque par l’homme.

Deux étages plus bas, vivons une expérience esthétique forte, conjuguée au message écologique et sensible des artistes d’hier et d’aujourd’hui, en parcourant la salle d’expositions temporaires, dont les quatres sections sont mises en musique, à partir de bruits de la forêt, par le compositeur français Bruno Letort (°1963) :

** « L’Arbre qui cache la Forêt » ;

** « Le Bois sacré » ;

** « La Forêt hantée » ;

** « La Forêt enchantée ».

Dans le première section, nous trouvons, à nouveau, David Quayola, qui nous propose une oeuvre du XXIè siècle, réalisée à l’aide d’un scanner en 3D laser « Remains Series » (2017), aussi bien qu’un tableau, peu connu, du XVIIè siècle, nous montrant un arbre à la ramure arrachée, mais dont le tronc est resté solide, peint par un artiste florentin, évoquant une nature tourmentée et inqiétante.

Parmi les autres oeuvres, citons « Prédication de Saint-Jean Baptiste » (1566), de Pieter Brueghel le Jeune (1564-1638), « La Siouva » (2017), de Cécile Beau (°1978) et Anna Prugne – une souche d’arbre aux allures d’araignée, trônant au centre de la salle, nous interrogeant sur les liens étroits entre le monde végétal et le monde animal – ou encore l’huile sur toile, de l’artiste parisien Gustave Moreau (1826-1898) « Apollon et Daphné », célèbrant la fusion de la femme et du végétal, d’après un épisode des « Métamorphoses », d’ Ovide (Publius Ovidius Naso/43 av. notre ère-an 17 ou 18).

Outre un extrait du film « Avatar » (James Cameron/USA/2009/162′), évoquant la relation spirituelle qu’entretient le peuple Na’vi avec son environnement, dans la seconde section, nous découvrons « Depuis la Terre jusqu’au Ciel » (2014), une oeuvre en bois de Gilles Barbier (°1965) – artiste français, qui, né en Mélanésie, vit désormais à Marseille -, nous montrant des maisons poussant dans les arbres, un rêve où l’homme et la nature se retrouveraient en symbiose, vivant en harmonie.

Cette section évoquant le bois sacré, comment ne pas citer l’ « arbre Bodhi », aussi connu, dans le Bouddhisme, comme étant l’ « arbre de l’éveil », sous lequel serait resté en méditation, pendant 49 jours, Siddhartha Gautama, dit  « Shakyamuni », le « Bouddha historique » (VIè ou Vè siècle avant notre ère). L’oeuvre « Arbre de Buddha » (1878), du peintre français Félix-Elie Régamey (1844-1907), nous montre cet arbre, recouvrant un temple sacré, où est conservée une dent du Bouddha, croqué à Kandy, au Sri Lanka.

A noter, au-dessus de cette oeuvre, une citation de l’industriel français, grand voyageur et fondateur du renommé « Musée national des Arts asiatiques », à Paris, Emile Guimet (1836-1918) : « Les dieux sont partout en Inde : ils habitent la forêt comme le village ».

Plus proche de nous, selon un autre culte, une image d’Epinal, dévoilant les druides gaulois en plein travail – « Les Druides coupant du Gui le sixième Jour de la Lune » (vers 1900) – peints par l’artiste français Henri-Paul Motte (1846-1922).

« Major Oak, le Chêne de la Forêt de Sherwood » – une installation (projecteur, lecteur multimédia, échaffaudage, film transparent, bois, peinture, miroir & tendeurs/430 x 540 x 460), avec un hollograme d’un chêne, qui remet en question notre vision du réel -, une création du photographe britannique Mat Collishaw (°1966), est l’oeuvre principale du troisième espace.

Cet arbre sacré, « Major Oak », de la forêt royale britannique de Sherwood, arbre solide, en apparence, ici scannérisé, devient une image fragile et éphémère, sa stature mythique semblant se dissoudre sous les effets de la lumière.

« Les Lavandières de la Nuit » (1861), quant à elles, ont été peintes par l’artiste français Yan’ Dargent (Jean-Édouard Dargent/1824-1899), nous plongeant dans l’ambiance effrayante d’une légende bretonne, cette oeuvre nous présentant une nature anthropomophisée, où les arbres devienent des silhouettes monstrueuses, … qui peuvent nous faire penser aux mots de Victor Hugo (1802-1885) : « La Forêt est barbare » (« Quatrevingt-treize »/1874).

Autre forêt troublante, celle de l’artiste belge William Degouve De Nuncques (1867-1935), qui, avec son huile sur toile « La Forêt mysérieuse » (1900), nous dévoile des créatures rampantes et menaçantes, êtres biomorphiques se situant entre le racinaire et l’animal.

Tout à l’opposé, en quatrième section, nous découvrons « Un Rayon de Soleil », une oeuvre du peintre français  Célestin Nanteuil (1813-1873) ou encore, plus sombre, « Nocturne aux Elfes » (vers 1860), une huile sur toile, dans laquelle l’illustrateur français Gustave Doré (1832-1883) nous donne sa vision fantastique, sublime du monde végétal, celle de la forêt vosgienne du Mont Saint-Odile, nous laissant entrevoir, dans un lointain lumineux, un mystérieux château, où, selon lui, des elfes malicieux et des êtres féériques ont élu domicile, justifiant le titre de cette section, « La Forêt enchantée ».

Cette atmoshère féerique, nous la retrouvons avec « Iris » (1886), la messagère des dieux et l’intermédiaire entre les hommes et l’Olympe, un retour à la mythologie grecque que nous devons au peintre britannnique John Atkinson Grimshaw (1836-1893).

Ces enchantements raviront nos enfants, qui, sur un grand écran, assisteront à la projection de dessins animés, tout en ayant pu voir des illustrations d’un autre artiste français, contemporain quant à lui, Frédéric Pillot (°1967),  diplômé de l’ « École supérieure des Arts décoratifs », à Strabourg, nous emmenant dans une forêt verdoyante et  fantastique, où la faune et la faune se côtoient en toute harmonie, comme dans « Blanche Neige » (2021) ou « Le Petit Chaperon Rouge » (2021).

Voici l’occasion de nous rappeler ce que ce que, dans « Frauds on the Fairies » (1853), Charles Dickens (1812-1870) écrivit : « Dans une époque utilitaire, plus qu’à aucun autre moment, c’est une question d’une grande importance que de respecter les contes de fées. »

Entre « Nocturne aux Elfes » et les illustrations féeriques de Frédéric Pillot, nous terminons notre visite, en douceur, avec « Catharsis » (2020), une vidéo immersive, superbement présentée sur neuf écrans, par l’artiste danois Jakob Kudsk Steensen (°1987). La beauté enveloppante de cette création artistique semble nous murmurer de chérir et protéger ce que les artistes ont, depuis toujours, su regarder et comprendre mieux que nous.

En quittant cette exposition fort bien scénographiée, avec la présence, dans une section, d'autheniques parties de troncs d'arbres, ous terminons notre séance de sylvothérapie - sur l’idée qu’être dans une forêt ou à proximité d’arbres a un effet bénéfique pour le bien-être et la santé -, nous rappelant ce que, dans "Frauds on the Fairies" (1853), Charles Dickens (1812-1870) écrivit : "Dans une époque utilitaire, plus qu’à aucun autre moment, c’est une question d’une grande importance que de respecter les contes de fées ..."

... Mais, bien loin des contes de fées, nous devons constater la perte progressive de nos forêts. Aussi, il est temps de leur redonner toute leur place, parce qu'elles forment, bien sûr, l'un des socles indispensables de notre survie, mais aussi parce qu'elles sont le refuge ultime de l'imaginaire, l'un des deniers lieux de résistance à l'uniformisation.

Ouverture : jusqu’au lundi 19 septembre, du mercredi au dimanche, de 10 h à 18 h, le lundi, de 14h à 18h. Prix d’entrée : 10€ (8 €, de 12 à 29 ans & les membres d’une famille nombreuse) / 7€, pour tous, en semaine, à partir de 16h30 / 0€, pour les moins de 12 ans, les demandeurs d’emploi, les personnes porteuses d’un handicap et leur accompagnateur, pour tous, les dimanches 7 août & 4 septembre ). Nocturne gratuite : le vendredi 09 septembre, de 19h à 22h. Prix combiné avec la collection permanente (dont la section rénovée « Du Moyen Âge à la Renaissance ») : 11€ (9€, 8€ & 0€). Catalogue : 19€90 (Ed. « Réunion des Musées nationaux »/160 p/17 x 24 cm/100 illustrations). Contacts : 00.33.3/20.06.78.28. Sites web :  http://www.pba.lille & http://www.utopia.lille3000.com.

… Et pour rester dans cette ambiance de contes de fées et de rêves, en nous dirigeant, à pied, vers la « Gare de Lille Flandres » ou celle de « Lille Europe », au départ de l’ « Opéra », empruntant la rue Faidherbe, aussi nommée  « Rambla », nous sommes entourés, sur les deux trottoirs, par des vagabonds des forêts nordiques, les "Moss People" ("Peuple de Mousse"/2022), créés par l'artiste finlandais Kim Simonsson (°1974), diplômé de l’ « Université des Arts et du Design » d’Helsinki, lauréat, en 2004, du prestigieux « Young Artist of the year Award », du « Tampere Art Museum » et, en 2009, du « Didrichsen Pro Arte Award », créé en 2003, dans le but de soutenir de jeunes artistes prometteurs.

Quelques précisions concernant « Utopia » (14 mai-02 octobre 2022), l’association « Lille 3000 » ayant été créée, à l’initiative de la maire de Lille, Martine Aubry, pour poursuivre, sous la direction artistique de Didier Fusillier, ce qui fut entrepris par « Lille 2004 », alors que la Ville de Lille avait été décrétée « Capitale culturelle de l’Europe » :

** ce mot est un néologisme grec formé par l’écrivain londonien Thomas More (1478-1535), qui désigne habituellement un idéal inexistant ou inaccessible. À l’heure du changement climatique et des enjeux environnementaux, « Utopia » s’intéresse aux liens qui unissent l’Homme aux vivants.

** avec plus de 50 expositions, une vingtaine d’oeuvres en plein air et plus de 1.000 événements culturels, organisés dans différentes villes de la Métropole lilloise, l’association « Lille 3000 » et ses partenaires mettent en évidence le rapport entre l’humain et son cadre de vie.

** plutôt que de perpétuer la conception anthropocentriste du monde, cet événement nous propose des visions d’artistes, d’inventeurs, de créateurs et de scientifiques, qui interrogent la hiérarchie entre les hommes et la nature, avec ses utopies architecturales et ses innovations liées à la nature.

** 6è organisation de l’association « Lille 3000 », cet événement succède à « Bons Baisers de Lille » (14 octobre 2006-14 janvier 2007), « Europe XXL » (14 mars-12 juillet 2009), « Fantastic » (06 octobre 2012-13 janvier 2013), « Renaissance » (26 septembre 2016-17 janvier 2017) et « Eldorado » (27 avril-01 décembre 2019).

Principales expositions à découvrir (sauf indications contraires, à Lille, jusqu’au dimanche 02 octobre) :

*** « Le Serpent cosmique », au « Musée de l’Hospice Comtesse »

*** « Les Vivants », au « Tri Postal » (collection de la « Fondation Cartier pour l’Art contemporain »).

*** « Novacène », à la « Gare Saint-Sauveur ».

** « Percevoir la Nature », au « MHNL » (« Musée d’Histoire Naturelle de Lille »).

** « Le Jardin d’Eden », aux « Maisons Folie Moulins & Wazemme », ainsi qu’à l’ « église Sainte-Marie-Madeleine ».

** « Bault », à « La Sécu », jusqu’au samedi 29 octobre.

** « Eugène Leroy. A contre Jour », au « MuBa » (« Musée des Beaux-Arts »), à Tourcoing.

** « Robert Lotiron (1886-1966) : La Poésie du Quotidien », à « La Piscine-Musée d’Art et d’Industrie André Diligent », à Roubaix, jusqu’au dimanche 04 septembre.

** « Annette Messager, Comme si », au « LaM » (« Lille Métropole Musée d’Art moderne »), à Villeneuve d’Ascq, jusq’au dimanche 21 août.

** « Panorama 24 », au « Fresnoy-Studio national d’Arts contemporains », à Tourcoing, du vendredi 23 septembre jusqu’au samedi 31 décembre.

Prix du Pass « C’Art » (nominative, valable pour toutes les expositions) :

40€ (20€, pour les moins de 26 ans / 60€, pour le titulaire et une personne invitée / 65€, pour le titulaire, un adulte et 3 jeunes de moins de 18 ans ou pour le titulaire et 4 jeunes de moins de 18 ans).

Yves Calbert.

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