Down Side Up, exposition au Triangle Bleu de Stavelot

le 03/03/2012
Semilla de C. Case

On connaissait l’expression « Up side down » : sens dessus dessous. La galerie Triangle Bleu nous renverse littéralement avec cette exposition Down Side Up. A voir jusqu’au 11 mars dans la cour de l’abbaye. Véritable chamboulement dans lequel chacun des artistes a trouvé place pour exprimer formes et imaginaire. Sens dessous dessus (à lire à l’envers de l’endroit !) derrière la porte vitrée ! Georg Baselitz, Charley Case, Pieter-Laurens Mol, Isabel Baraona, Sylvie Macias Diaz, Tinka Pittoors et Kris Fierens, Emilio Gallego, Thomas Israël et Gauthier Keyaerts posent œuvres et regards sur les murs blancs du vaste espace.
Tout juste à l’entrée, Semilla, au fusain un grand cercle. Serait-ce un tronc récemment abattu, les traces laissées de la vie d’un arbre…Charley Case. Je me souviens tout à coup sur le même mur lors de l’exposition de septembre « Forrest » une photographie : femme couchée au sol recouverte de l’écorce d’un tronc. Femme- tronc (d’arbre). Je me souviens…et les murs, se souviennent-ils eux… ? Gardent-ils l’empreinte d’une invisible filiation exposition après exposition, œuvre après œuvre ? Comme sur une maison la plaque atteste de qui vécut ici en son temps…(je rêve peut- être dans les veines d’un arbre!) Superpositions au fil du temps. Ici fragment d’une même mémoire pour l’artiste peut- être. Dans l’autre salle une photographie : « Les pieds dans les étoiles » : un corps en poirier, jambes et pieds nus. Une lumière filtrant en cercle dans le creux des jambes semble dessiner les traits d’un autre tronc. Une artiste venue ce jour- là pour souffler de la préparation d’une prochaine exposition à Verviers, Dominique Jacqmain, demeure immobile un long temps. « Il met beaucoup de lui Charley Case » me souffle-t-elle. L'artiste me confiera plus tard que "ce sont les pieds les jambes et le poirier d'un ami berger rencontré en Andalousie. Il avait pour habitude de marcher sur les mains. L'éclat lumineux est celui du reflet d'un arc-en-ciel. Apparu là entre les membres d'un corps, par hasard par inadvertance. Un arc-en-ciel en noir et blanc, c'est drôle hein?! ...Je me suis souvenu alors que la forme de l'arc-en-ciel est le cercle." L'exposition tisse liens, ponts et passerelles organiques. J’entends résonner face à l’image les vers de l’artiste Isabel Baraona : « …nous qui avons un corps beaucoup trop grand, un souffle trop long et qui subissons l’amour par un trou, … » Cette artiste portugaise s’est retirée dans l’espace d’exposition du haut, avec encres de Chine et aquarelles, au titre comme des poésies déjà : « Tu as une voix, j’ai une autre », « Dessin de vérité », «Tu meurs un peu tous les jours ». Quelques carnets de dessins et poèmes permettent de plonger encore davantage dans son univers de femme artiste, aux corps multiples, charnels et sanguins, aux corps affirmés. Retour à la salle de la grande baie vitrée. Autre lien entre les oeuvres des différents artistes: Tandis que l’artiste- spectatrice médite en silence, de côté, un jeune garçon décortique du regard l’installation de Pieter-Laurens Mol : deux parties photographiques complètent un arc-en-ciel. Un mécanisme permet à une paire de pantoufles charentaises de se déplacer d’une extrémité à l’autre. Il titille de l’œil, pointe le nez. « Tu regardes quoi là ? » je lui demande. « Ben le mécanisme comment ça marche ». Et j’entends alors La Prière de bonheur de la même Isabel Baraona : « Nous qui prions tous les jours pour un peu de bonheur avec beaucoup de mots pathétiques des paroles séculaires et un peu de vérité ». Pieter- Laurens Mol, artiste hollandais qui vit à Bruxelles, ne cesse lui d’entretenir dans ses photographies un dialogue imaginaire dont la poésie n’est jamais absente. Il occupe généreusement les deux grandes salles de la galerie. Marie- Claire Goosse ne manque pas de me clamer la lecture d’un visiteur venu là à ses heures perdues de scientifique : « l’homme est ainsi fait, l’humanité monte, vers toujours plus d’ascension puis arrive son déclin. Entre l’inatteignable- arc-en-ciel- et le fond des choses, la pantoufle. Le mécanisme continue sa course, le jeune garçon poursuit son inspection. « T’es où !? » Du haut me parvient la voix de Francine Jacques, sa complice galeriste. Elle me pensait à l’étage. « Down », je lui réponds, dessous, faut bien que l’exposition ainsi nommée Down side up crée des questionnements et des déboussolements ! « Attends je monte ! » Pour emprunter l’escalier je longe les dessins encadrés de Sylvie Macias Diaz, « Figures de la Reine » ou la mécanique (encore une fois…) des jambes en l’air au lever de l’astre cœur. Les sourires à l’attention de la jeune artiste répondent au clin d’œil et à l’humour coquin de son projet. Francine, Up- à l’étage, me présente le travail de Georg Baselitz : Big Night (Remix). Cette série de six gravures sur bois aux couleurs variantes s’intitule donc La Grande Nuit. Il s’agit de la reprise pour l’artiste d’œuvres de jeunesse. Autant de tableaux- souvenirs. « Je marche ou je me tourne autour de moi- même » dit de son processus l’artiste. Il est en bonne compagnie puisque le couple Tinka Pittoors et Kris Fierens s’adonnent ensemble à une variation- reprise également. La règle du jeu est donnée par Kris : il s’agit de la photographie d’une installation déjà exposée. Elle se compose d’un certain nombre de fioles-carafes de verre. Il a proposé à Tinka d’acheter le même nombre de fioles en verre, de son choix et de les présenter dans un assemblage à sa guise. Des cruches colorées comme elles peupleraient notre quotidien sont accrochées à la charpente en bois à l’aide d’une grosse chaîne. Le creux des récipients accueillent plusieurs matières rendant la proposition de départ d’un certain vide matériellement chargée et dense. Avec Tinka il y a de la circulation dans l’air, comme une plaque-tournante fébrile ! Kris déclare qu’il va inviter d’autres artistes à participer à la « proposition- déclinaison ». Et de sourire d’avance qui du cristal de verre qui de l’achat en série de carafes de grande distribution ! Dans les espaces, recoin et cachette : Emilio Gallego, Thomas Israël et Gauthier Keyaerts sont aussi de retour après l’exposition Forrest. Le premier, alors que son arbre sans racine trône toujours à l’extérieur de la galerie, avec de petites sculptures en bois, aux mouvements dansants. Les seconds avec la proposition déjà faite : une maison de bois, sonore accompagnant un petit film et un objet-cadeau. Ils trouvent cette fois le lieu idéal, ouvrent ici comme une clairière secrète de la galerie pour nous l’offrir.
Avant de sortir et les yeux dans le dos, puisque les perceptions étaient mouvantes, changeantes et down side up ! sur le seuil de la porte, Marie- Claire, la galeriste, me rappelle la petite histoire qui préside à une maisonnette montée sur une frêle rampe de lancement. Pieter- Laurens Mol l’a voulue du même poids exact au milligramme près- se dresse le petit doigt explicatif- que l’enfant Gagarine à six ans…dans sa maison ignorant tout alors de son devenir dans l’espace. Sur une photographie proche une fusée décolle à l’envers ! Le petit garçon visiteur a quitté les charentaises, la tête sortie des arcs- en-ciel, il nous salue. Retour aux pavés des rues et de la ville- et quoi dans la tête et les pieds ?
Marie- Laure V.

  • Semilla de C. Case
  • Isabel Baraona
  • Pieter Laurens-Mol
  • Le jeune visiteur et le mecanisme
  • Les figures de la Reine : S. Macias Diaz et T. Pittoors
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