La Belle Yvette

écrit par georges.dubois
le 09/09/2012
La Belle Yvette - 7051

« La Belle Yvette » est le nom de scène emprunté par une jeune Allemande, vivant à Paris dans l’immédiat après-guerre.
Elle a grandi au Grand-Duché de Luxembourg, chez une tante allemande et un oncle polonais, et est bilingue. Vu le système scolaire grand-ducal, elle a appris le français, une des langues officielles du pays.
Lorsque les hostilités éclatèrent, elle rentra dans son pays. A l’issue de la guerre, elle voulut revenir chez sa tante, mais celle-ci avait été arrêtée.
Les temps étaient difficiles et Yvette, âgée de 19 ans, décida de se rendre à Paris pour trouver du travail. Avec son maigre capital de départ, elle ne pouvait se permettre que des locations de chambre à la journée, avec pour seul confort un lit et un lavabo.
Elle tenta de trouver de l’embauche dans son domaine, la coiffure. Malheureusement, son diplôme n’était pas reconnu en France et elle dut se résigner à abandonner l’idée.
Sa situation devenant de plus en plus précaire, elle répondit à une annonce parue dans un journal : les Folies Bergère recrutaient des danseuses. Elle se présenta auprès de la directrice de l’établissement et fut engagée. Son physique correspondait à l’emploi sollicité.
Le soir même, elle fut invitée à assister à la revue afin de lui montrer ce que l’on attendait d’elle. Trois jours plus tard, elle reçut un costume de scène, avec perles et paillettes, mais les seins devaient rester nus. Aussitôt, elle fut envoyée sur scène, avec pour mission de calquer ses gestes sur celle qui la précédait. Elle s’acquitta correctement de sa tâche et ne ressentit pas la peur. Aveuglée par les projecteurs, elle ne voyait pas les spectateurs qui avaient pris place dans la salle. Sa seule crainte était de trébucher. Elle était myope mais ne pouvait pas porter de lunettes ! Au départ, afin de l’habituer à son nouveau métier, elle ne prestait que deux ou trois fois par jour, pour en arriver finalement à quinze à vingt séances quotidiennes.
Les Folies Bergères, une des plus vieilles maisons de Paris, ne comptaient que des places assises. On n’y buvait pas. Le prix des entrées était assez élevé. Dans les années 40 et 50, c’était la grande classe. Les danseuses devaient toutes être blondes. La jeune Allemande dut se faire teindre les cheveux. Elles devaient aussi s’astreindre à des séances de photos « convenables et esthétiques ». En outre, il leur était imposé de rentrer seules à minuit. Yvette s’en retournait à pied, car elle ne pouvait s’offrir le métro. Le trajet durait une trentaine de minutes, car elle habitait assez loin de son lieu de travail.
Son salaire n’était pas très élevé, mais elle put se permettre un peu plus de confort dans le choix de son logement. Cela lui coûtait malgré tout un tiers de ses émoluments. Mais pas question de se préparer du café ou un repas ! Elle était donc obligée d’aller au restaurant. Elle ne mangeait chaud que deux fois par semaine. Etant devenue trop mince, elle risquait d’être congédiée et dut se résoudre à fréquenter les marchés noirs, plus chers bien sûr, pour acheter de quoi retrouver le physique plus rond exigé des danseuses.
Elle apprit ainsi à danser correctement, put intégrer un meilleur groupe dans un autre casino et gagner aussi plus d’argent. Mais il ne lui était toujours pas facile de s’en tirer financièrement et tourna comme figurante dans des films pendant la journée, côtoyant même Edith Piaf en une occasion. La fatigue était présente, mais l’argent étant le nerf de la guerre … !
Pour progresser financièrement, elle forma un trio avec une fille de la revue et un excellent danseur. Ils purent se payer un studio, avec des miroirs, devant lesquels ils répétaient. Il fallut aussi engager un pianiste et se faire coudre des costumes de scène. C’était assez cher et ils couraient un risque. Ils furent cependant engagés immédiatement.
La différence avec les Folies Bergère était grande : des pauses en plus, plus de temps libre, c’était plus gai ! Le trio s’entendait bien et la jeune fille prit un nom de scène : « La Belle Yvette ». Les spectateurs les invitaient parfois à s’asseoir à leur table, ce qu’ils faisaient de bonne grâce. Les gens étaient généralement sympas et intéressants. Aux désagréables, ils invoquaient le peu de temps dont ils disposaient entre deux séances pour s’en débarrasser.
Les prestations prenaient fin à cinq heures du matin. A cette heure avancée de la nuit, quelques endroits où on pouvait danser étaient encore ouverts et, par pur plaisir, ils s’adonnaient au mambo ou au cha-cha-cha jusqu’à sept ou huit heures ! Ils faisaient ainsi la connaissance d’autres artistes ou acteurs de la vie nocturne. A Montparnasse souvent, au Quartier Latin ou au Boulevard St-Germain. Ou encore sur les Champs Elysées. Vivre la nuit était beaucoup plus agréable. C’était une époque formidable.
Actuellement, « Yvette » , madame Katharina, habite dans la région Cologne et dépasse allègrement les quatre-vingts ans.

G. Dubois
Lien vers le reportage photos de Jean-Marie Lesage

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Découvrez en vidéo l’histoire racontée par une jeune Allemande qui devint danseuse aux Folies Bergère en 1945.
Lien vers la vidéos de Jean-Marie Lesage

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