"Bouffons ! Eloge de la Fou'losophie", au "Musée du Canaval et du Masque", àBinche, jusqu'au 11 Septembre

écrit par YvesCalbert
le 12/07/2022

Depuis le Moyen Âge, les Bouffons occupent une place de choix dans notre imaginaire. Clowns, fous du roi, valets, …, ils prennent de nombreuses formes mais cherchent toujours à amuser le public en adoptant une attitude souvent subversive. Sous ses airs de saltimbanque grotesque, le Bouffon est une figure indispensable à de nombreuses représentations masquées.

Jusqu’au dimanche 11 septembre, le « Musée intenational du Carnaval et du Masque »à Binche, nous invite à découvrir son exposition temporaire « Bouffons ! Eloge de la Fou’losophie ».

Explorant la trajectoire particulière de ces figures à travers une série d’univers – celui des accessoires, des images, du des marionnettes et du théâtre – pour terminer avec les Carnavals contemporains, cette exposition nous interroge, en filigrane, sur le rôle du Bouffon dans notre société. À quoi sert-il ? Pourrait-on s’en passer ? Qui sont les Bouffons aujourd’hui ?

Sous ses airs de saltimbanque grotesque, le Bouffon est une figure indispensable à de nombreuses représentations masquées, même si l’expression « bouffon » sonne aujourd’hui comme une insulte, l’appelation, ainsi que le  personnage, ont, en réalité, une longue histoire, que nous découvrirons tout au long du parcours de l’exposition  binchoise, spécialement conçu pour plaire aussi bien aux enfants, qui pourront apprendre et découvrir en s’amusant , qu’à un public plus averti, amateur d’œuvres anciennes (reproduites ou originales), d’histoire et de sociologie.

Ainsi, notons que le mot « bouffon » apparaît au XVIè siècle, dérivant du terme italien « buffare », qui signifie  « gonfler les joues », une grimace populaire, qui consistait à gonfler ses joues d’air, puis à expirer, en émettant un bruit grossier.

A la Renaissance, ce terme désigne celui qu’on connaissait, aussi, sous le nom de « fou du roi ». Amuseur  professionnel, « fou-sage », marginal, mais aussi, parfois, conseiller, le Bouffon est un personnage ambigu.

La folie a traversé le dernier millénaire en revêtant divers masques et noms, tels l’insensé, le Bouffon, le clown, le  fol, le fou, le sot, … des mots familiers de nos jours.

Le Carnaval est intrinsèquement lié à la folie. Durant plusieurs jours, la folie régit les vies, pousse à l’excès,  renverse le codes, invite à la satire et possède les masques. Le Carnaval tout entier lui est dédié. Il devient son Royaume.

Les mascarades européennes puisent leur inspiration dans un répertoire ancien de pratiques et de symboles liés à la folie, ce constat étant le point de départ de la présente exposition.

En faisant l’éloge de la « Fou’losophie » (clin d’oeil à un ouvrage, « L’Eloge de la Folie » {1509), du philosophe hollandais Erasme {1466-1536}), ce parcours pose une question majeure : la folie n’est-elle pas plus forte que la  sagesse ? Les figures de Bouffons d’hier et d’aujourd’hui nous aident à y répondre.

Dans les différentes salles, des panneaux didactiques nous révèlent des détails dont peu d’entre nous sont conscients. Ainsi, la présence des saucisses est évoquée. Fraîche, fumée ou séchée, la saucisse était omniprésente durant les périodes carnavalesques. Les bouchers mettaient le cochon et ses dérivés à l’honneur, avant que la communauté entière ne commence son jeûne. Dès le mercredi des Cendres, le gras laissait la place au maigre, le cochon au hareng, ce poisson étant toujours, ce soir là, au menu des Gilles, à Binche.

Pour en revenir à la saucisse, elle ne renvoie pas seulement aux cuisines médiévales, sa forme phallique incarnant  les pulsions charnelles de l’homme ou de la femme, ne sachant se maîtriser. A l’opposé de l’homme de raison, le Fou est un être de passions et de lubricité. Le Carnaval, ce « monde à l’enver », permettait (ce qui devient plus difficile au XXIè siècle) que l’on oublie pendant un temps les règles de la bienséance, la sexualité y étant exacerbée , comme à New Orleans, où, durant la journée du Mardi-Gras, ce que nous avons nous mêmes constaté, en 1999, nombre de femmes apparraissent, complètement dénudées, aux terrasses du célèbre « Quartier français »,  lançant des milliers de colliers et bracelets ,en plastique « made in Hong-Kong », dans une foule en délire.

Par ailleurs, dès le XVe siècle, la queue de renard est associée aux images de la folie. Touffue, brune ou rousse, elle est accrochée au bonnet ou au sceptre du Bouffon. Plus rarement, le manteau entier d’un fou en est recouvert, rappellant la bestialité propre à ceux qui vivent en marge de la société. De nos jours, la queue de renard incarne la folie des apparences et la duplicité, une chose représentant rarement ce qu’elle est vraiment … Alors, au détour d’un Carnaval, si nons croisons un personnage masqué affublé d’une queue de renard, prenons garde à ses flatteries, il risquerait de nous duper.

Dans un couloir de l’exposition, dédié à l’image du Fou, trois portraits sonores nous proposent de découvrir la vie de Bouffons (des XVIè et XVIIè siècles) devenus célèbres. Des miroirs déformants nous renvoient un autre image, un peu folle, de nous-mêmes, alors que des Bouffons nous sont montrés aussi bien gravés sur les pages d’anciens  livres, que comme jokers de jeux de cartes.

À partir du 16e siècle, la Folie est un thème de prédilection pour les graveurs d’Europe du Nord et particulièrement pour les artistes flamands. Dans ce contexte humaniste, le fou tourne en dérision ou dénonce les vices de l’Homme et les abus d’un monde qui tourne à l’envers. Dans les siècles qui suivent, la folie fait également des incursions dans le monde de la fête. Sous les traits de personnages bouffonesques (comme « Arlequin » et  « Polichinelle », ce qui nous est révélé dans l’une des salles) ou encore à travers l’usage de certains accessoires  (comme les clystères, les lunettes, les soufflets ou les vessies gonflées ou les soufflets), la gravure révèlant l’omniprésence de la folie, le monde, quant à lui, n’étant autre qu’une vaste mascarade.

Arrivé en ville sans le sou, « Arlequin » dût se vêtir, afin de pouvoir trouver du travail. Rassemblant des haillons disparates, il s’offrit un patchwork coloré, vêtement symbolique de son ingéniosité, quasi diabolique, et de sa  résistance face aux dominants, les losanges, caractérisant sa tenue, évoquant la casaque irrégulière du fol médiéval, symbole de l’instabilité et de la fantaisie face à la rigueur et la droiture de l’élite dirigeante.

Très vite, la figure du Bouffon s’imposa comme l’emblème de toute forme d’humour graphique. En Angleterre, en 1841, l’hebdomadaire « Punch », qui se présentait comme le « Charivari anglais », prit pour figure de proue un personnage inspiré de« Pulcinella » (« Polichinelle »), le valet, d’origine paysanne – gourmand, rusé et spirituel  -,  Bouffon de la « Comedia dell’ Arte ».

Le Bouffon transcende toutes les règles, faisant exception partout. Avec son costume asymétrique et ses  accessoires irrévérencieux, il évoque toute la fantaisie d’un peuple, qui s’affranchit de la platitude et du sérieux des élites.

Ces dernières, victimes de leur snobisme, ne prennent pas au sérieux les marionnettistes, auxquels une autre salle  est consacrée. Nous y découvrons quelques marionnettes et deux castelets. Derrière ces derniers, les  marionnettistes, profitant d’un champ d’action beaucoup plus libre, développaient, à l’époque, en toute impunité, des représentations dont le moteur principal de l’action était la contestation de l’autorité.

Venons en à la « Salle du Banquet », où nous attend une table festive, installation de choix de cette exposition, nous rappelant que, par le passé, les jours gras célébraient l’opulence, avant que ne commence le carême.

Rassemblés pour festoyer, ils sont venus des quatre coins de l’Europe, tous ces personnages de mascarades ayant un grain de folie ! Nous retrouvons, ainsi :

- un « long nez » de Malmédy ; un « chinel » de Fosses-la-Ville, descendant du « Polichinelle », avec son sabre, qu’il utilise pour caresser les mollets des jeunes filles ;

- de La Calamine, le« Prince Carnaval », un fou à qui le bourgmestre remet la clef de la ville pour le temps des jours gras, devenant, alors, le symbole d’un monde à l’envers, où règne la folie ;

- avec sa « narrenwurst » (saucisse du fou), un« Gschell », Bouffon de style baroque, du Carnaval de Rottweil, dans le Bade-Wurtemberg, en Allemagne ;

- venant de Stockach, dans cette même région, habitué à frapper le sol de sa vessie gonflée d’air, nous découvrons un « Hansele » ;

- « Lo Beuffon », un Bouffon italien du « Camentran » (« carême entrant »), de Courmayeur, dans le Val d’Aoste ; avec sa seringue géante, destinée à asperger les spectateurs, un vieillard baroque, nommé « Altfrankspritzer », d’Imst, dans le Tyrol autrichien ;

- bien sûr, un« Gille de Binche », sa coiffe de plumes d’autruches et ses oranges ;

- un« Tamboureur », clown suisse, du Carnaval de Bâle, inscrit sur la liste du « Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO » ;

- nous venant des Asturies, en Espagne, un « Sidro », qui, au Moyen Âge, utilisait un fouet pour écarter la foule ;

- aujourd’hui, toujours armé d’un fouet, qu’il utilise avec agilité, un « Hänsele », d’Überlingen, sise en Allemagne,  dans le Bade-Wurtemberg ;

- originaire du XVè siècle, représentant du folklore anglo-saxon, issu du Village de Moulton, dans le Yorkshire, un « fou », du groupe « Moulton Morris Men », armé d’une vessie gonflée et d’une queue de renard ;

- un membre de la « Confrérie des Bouffons », habitué à lancer, du haut du Beffroi, des milliers de « pichous »  (petits pains briochés), à l’occasion du« Carnaval de Tournai », dont l’origine remonte au XVè siècle.

A l’occasion de notre visite, n’hésitons pas, sur un côté de la table, d’écarter une tenture, afin de découvrir une  fresque des plus amusantes.

Pour terminer en beauté ce parcours, comment évoquer le Carnaval, sans penser à ceux du Brésil ? Ainsi, en parallège du grand cortège « officiel » du Carnaval de Rio, les « Bate-bola », affiliés à la famille des clowns, envahissent les rues des banlieues, « Bate-bola » signifiant littéralement« frappe-balle ».

Armés de leur ballon de baudruche (et non plus de vessies de porc), les bandes de « Bate-bola » courent dans les rues en faisant le plus de fracas possible.

Leurs déguisements, hauts en couleurs, font l’objet d’une importante compétition entre les différents groupes. Elle représente un enjeu réel pour les chefs de bandes, qui investissent énormément d’argent, d’énergie et de temps à les concevoir.

Ne manquons pas, à l’occasion de la visite de cette exposition temporaire, de (re)découvrir les collections permanentes : « Centre d’Interprétation du Carnaval de Binche », « Folklore et Caraval de Wallonie », ainsi que « Masques aux 5 Coins du Monde », cette dernière étant présentée dans cinq salles, chacune d’entre elles étant dédiée à un continent.

Ouverture (billeterie jusqu’à 16h30) : jusqu’au dimanche 11 septembre, du mardi au vendredi, de 09h30 à 17h, le samedi et le dimanche, de 10h30 à 17h. Prix d’entrée : 8€ (7€, pour les étudiants & les seniors / 3€50, de 6 à 17 ans / 1€, par membre d’un groupe scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles / 0€, pour les moins de 6 ans).  Contacts : 064/33.57.41 & info@museeumasque.be. Site web : https://www.museedumasque.be/.

Pour nos enfants de 05 à 10 ans, soulignons l’organisation, du mardi 16 jusqu’au vendredi 19 août, d’un stage intitulé « Marotte & Marionnette », avec, au programme, visite ludique, initiation, confection, jeux et ateliers créatifs, afin de les aider à découvrir l’univers fabuleux des marionnettes. Prix : 70€.  Réservations : 064/33.57.41 &  info@museeumasque.be.

Notons enfin que dans l'esprit médiéval des Bouffons, une exposition, "Diableries", ouverte jusqu'au dimanche 28 août, est, aussi, à découvrir au "TreM.a" ("Musée provincial des Arts anciens du Namurois"), à Namur. Site web : https://www.museedesartsanciens.be/.

Yves Calbert, avec des textes du « Müm », rédigés sous la supervision de la conservatrice, Clémence Mathieu.

 

  • © Jacques Baudoux
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