"Des Siècles de Silence : la Découverte de l'Antiphonaire de Salzinnes", à Namur, jusqu'au 11 Février
Jusqu'au dimanche 11 février, au "Musée provincial des Arts anciens du Namurois" ("TreM.a"), grâce à l'initiative de la "SAN" ("Société archéologique de Namur"), nous pouvons découvrir, au sein de la capitale wallonne, un exceptionnel manuscrit enluminé, réalisé en 1554-1555, pour l'ancienne chantre Julienne de Glymes, l' "Antiphonaire de Salzinnes", qui, provenant, historiquement, de l'ancien abbaye du Val Saint-Georges, à Salzinnes , est conservé, depuis deux siècles, à Halifax, au Canada.
Ayant quitté nos régions à l'époque troublée de la Révolution française - qui provoqua le départ des Soeurs cisterciennes vers l'abaye de Malonne -, ce manuscrit enluminé, dont l'existence avait été oubliée, est de retour, pour la première fois, sur le continent européen, pour la plus grande satisfaction des amoureux de l'histoire namuroise, de la musique ancienne et du patrimoine artistique.
Réalisée sous le commissariat du Dr Judith E. Dietz, cette exposition événementielle connu d'office un vif succès, lors de son vernissage, le 06 octobre 2023, qui bénéficia des présences d'un représentant de l'Ambassade du Canada, du gouverneur de la Province de Namur, Denis Mathen, et du député-président, Jean-Marc Van Espen, cet "Antiphonaire de Salzinnes" - réalisé à la demande de Julienne de Glymes, à l'occasion du 350è anniversaire de son abbaye - étant prêté, durant un peu plus de 4 mois, par la "Bibliothèque Patrick Power" de la "Saint Mary's University", en partenariat avec l' "Art Gallery of Nova Scotia" ("Musée des Beaux-Arts de la Nouvelle-Écosse" ), sis à Halifax, capitale de la Province de Nouvelle-Écosse.
L’ "abbaye cistercienne du Val Saint-Georges", à Salzinnes - totalement abattue en 1820 -, qui fut la plus importante abbaye féminine du Comté de Namur, avait disparu de la mémoire collective des Namurois, sans doute parce que, contrairement à ses voisines de Floreffe, Malonne, ou Marche-les-Dames, elle ne faisait plus partie de notre paysage familier, seul un modeste porche de ferme de cette abbaye, la porte sainte-julienne, subsistant, comme nous le prouve une photo exposée au "TreM.a", qui nous montre qu'elle se trouve devant les bâtiments de l'actuelle Administration provinciale. A noter que dans le quartier namurois de Salzinnes, nous trouvons encore la rue de l'abbaye.
Notre visite débute par une vitrine nous présentant l' "Album de Croy", constitué de 32 feuillets, ouvert à la page d'une "Vue panoramique de la Sambre", une aquarelle, gouache et peinture dorée sur velin, la mention précisant "Abbaye de Salsainne", plusieurs orthographes se retrouvant, à cette époque, pour évoquer Salzinnes, cet album étant prêté par le "Cabinet des Dessins et Estampes" de la "Bibliothèque royale de Belgique".
A côté, nous trouvons "Namurcum", une superbe représentation de Namur et sa Citadelle, avec ses fortifications urbaines, réalisée, en 1575, par Franz Hogenberg, d'après Arnoldus Masius.
En face, l'original se trouvant à Halifax, une reproduction du portrait plein-pied (1852) de William Walch (1804-1858), archevêque, de 1844 à 1858, de l'archidiocèse d'Halifax-Yarmouth.
De Paris, ce dernier écrivit (p. 28 du catalogue) à Paul Cullen, le 18 septembre 1884 : "J'ai fait un grand nombre d'achats pour les besoins des missions ... Je suis sur le point de mettre la main sur une très belle statue de Notre-Dame - remontant aussi loin qu'au XIIIè siècle - pour une niche vide la cathédrale d'Halifax. J'ai aussi acheté plusieurs autres statues d'elle des Crucifix et une très respectable statue d'un évêque pour Saint-Patrick."
Auparavant, le 15 mars 1843, il avait écrit à Kirby de Kingstown : "J'ai grandement ajouté à mon stock de Trésors religieux lors de mon passage en France."
A côté d'un chevalet de tanneur, ne manquons pas de visionner une vidéo (6'19), "Making Manuscript" (2014), réalisée par le " J.-P. Getty Trust", de Los Angeles. Comme le titre l'indique, nous découvrons les différentes phases de la réalisation d'un livre en parchemin, semblable à l' "Antiphonaire de Salzinnes", ce processus laborieux, durant plusieurs jours, requérant la participation de différents artisans (parcheminier, scribe, enlumineur et relieur), le parchemin provenant de l'utilisation d'une peau de mouton, de chèvre ou de veau mort-né (ce dernier pour obtenir un ancien parchemin de luxe, le vélin), celle-ci étant frottée à la pierre ponce, après avoir été lavée à l'eau claire, tendue sur cadre et raclée, les différents cahiers, de 16 à 20 pages, étant cousus à la main, avec du fil de lin.
Une fois reliés, sous des couvertures en bois, recouvertes de tissus précieux, de cuir, voire d'orfèvrerie, ces manuscrits enluminés comptent parmi les documents historiques, sociaux et sacrés les plus importants jamais créés, les antiphonaires, toujours de grands formats, devant être placés sur des lutrins d'églises, ces pages de textes et de musiques devant être vues facilement, essentiellement par les personnes constituant le choeur.
De fait, un antiphonaire est un livre de musique traditionnelle que l'on trouve, depuis le Moyen-Âge, dans tous les couvents et monastères, l'art et la musique jouant un rôle majeur dans les pratiques liturgiques, revêtant, en outre, une importance particulière pour l'ordre cistercien, fondé en 1098, par Robert de Molesme, également fondateur, la même année, de l'abbaye de Cîteaux, ce moine français ayant été canonisé en 1220,
L'antiphonaire de Salzinnes, que nous découvrons au "TreM.a", comporte 480 pages, pesant ... 16,3 kilos, son format étant de 61,5 x 39,5 x 14,5 centimètres."
Sur le mur jouxtant l'authentique "Antiphonaire de Salzinnes" - qui a, miraculeusement, traversé plusieurs siècles, se retrouvant un jour de l'autre côté de l'Atlantique, d'où il nous est revenu pour encore une dizaine de jours - nous trouvons les copies de 12 pages, quatre d'entre elles nous présentant les enluminures des Saint.e.s Georges, Hubert, Julienne et Maurice, la commanditaire de cet antiphonaire, Julienne de Glymes, étant également représentée.
Les huit autres pages reproduites, illustrent différentes scènes bibliques : l'annonciation, les adorations des bergers et des anges, le baptême et la résurrection du Christ, l'agonie au jardin de Ghetsémané, la Sainte Parenté, le Christ en majesté, ...
A noter que nous pouvons feuilleter son contenu, grâce à une réalisation digitale, chaque page ayant été numérisée , à Halifax, grâce au laboratoire mobile de l' "ADL" ("Alamire Digital Lab") de la "KUL" ("Katholieke Universiteit Leuven").
Au-delà du livre lui-même, en découvrant l'exposition, nous entendons, en version polyphonique, les chants grégoriens, dont les partitions sont contenues au sein de l' Antiphonaire de Salzinnes, interprétés, a capela, par la chorale féminine wallonne "Psallentes", un ensemble grégorien, fondé, en 2000, par Hendrik Vanden Abeele.
Mieux encore, un écran vidéo nous permet, à l'image d'un "karaoké", de suivre, digitalement, l'interprétation des notes écrites dans l'antiphonaire de Salzinnes.
Dans l'une des salles, un diaporama et des photos nous dévoilant le long travail de restauration, réalisé, à l' "ICC" ("Institut Canadien de Conservation"), par la conservatrice canadienne Sherry Guild et son équipe, alors que nous découvrons, dans une vitrine, les deux seuls objets de l'abbaye de Salzinnes : une tête de femme coiffée, en pierre, et un chandelier, en cuivre, ce dernier ayant été retrouvé là où se trouvait le choeur de l'église de l'abbaye.
A ce propos, lsons ce qu'Aurore Carlier, conservatrice des collections de la "SAN", nous confia, lors de la visite de presse : ."On n’a plus rien comme vestiges de cette abbaye qui a pourtant été un pouvoir politique et économique extrêmement important à Namur. Et donc retrouver une pièce qui a été réalisée par les moniales et pour les moniales dans un contexte économique et social extrêmement riche, c’est très précieux et émouvant", explique Aurore Carlier, conservatrice de collection à la Société archéologique Namuroise.
Dès la seconde salle, nous avions déjà découvert quelques objets de l'époque, dont différentes chartes, l'une d'elles étant une "Bulle" du Pape Grégoire IX (1170-1241), appartenant à la "SAN", deux bourses à reliques, en lin et fil d'or, prêtées par le "Musée diocésain".
Dans la dernière salle, après avoir vu la reconstitution d'un habit de religieuse cistercienne de l'époque, nous trouvons, curieusement, une petite sculpture en bois de Saint-Hubert, nous rappelant que ce dernier est représenté au sein de l' "Antiphonaire de Salzinnes", alors qu'il est fêté le 03 novembre et que cet "Antiphonaire d'Hiver", exposé au "TreM.a", n'est censé ne couvrir qu'une période commençant le 30 novembre, jusqu'à la veille de Pâques.
L'explication tiendrait dans le fait que Julienne de Glymes vouait un culte personnel à Saint-Hubert et que cet "Antiphonaire d'Hiver" a été réalisé à sa demande, incluant, dès lors, un Saint qu'elle vénère.
En nous dirigeant vers la sortie, nous voyons, en peintures de grands formats, les portraits de plusieurs Abbesses, dont celui d'Ange de Bellanger, en fonction de 1778 à 1780 - peint, en 1779, par François Baudouin du Tour -, qui se vit refuser, pour raisons financières, par l'abbé de Boneffe, la construction d'un quartier abbatial, dont nous trouvons le projet, réalisé, par un inconnu, à la plume, rehaussé d'un lavis sur papier.
Plus loin, nous voyons des dessins et aquarelles du Général Otto von der Howen (1774-1848), les 4 dernières illustrations (1817-1818) connues de l'abbaye de Salzinnes, une ultime aquarelle (1827) ayant été réalisée après la destruction de l'abbaye, bien avant l'édification, en 1970, du Séminaire du Diocèse de Namur.
Notre visite se termine avec une vitrine nous présentant, outre des pièces de monnaies aux effigies de Charles Quint (1500-1558) et de Phillipe II (1527-1598), une matrice, en bronze, d'un sceau d'Alex Vallon (1442), abbesse de l'abbaye, de 1442 à 1451, sans oublier la copie d'une huile sur bois représentant "Les Saintes de l'Ordre de Citeaux" , réalisé, en 1635, par un artiste inconnu, nous montrant 33 soeurs, huit étant peinte en plein pied et les 25 autres en médaillons, deux religieuses étant des soeurs de sang de Julienne de Blymes appartenant à d'autres Ordres religieux, Françoise étant carmélite et Sybille étant bénédictine.
Notons que les noms de plusieurs de ces Soeurs sont à l'origine de noms de villes, comme Hemptine, Senzaille, Soye, Spontin, Velaine & Walzin, alors qu'en Brabant Wallon, un village se nomme Glimes, en hommage à Julienne de Glymes.
Une anecdote encore, à l'époque de la réalisation de l' "Antiphonaire de Salzinnes", l'année 1555 vit 3 Papes se succéder : de 1550 à 1555, Jules III (1487-1555), du 09 avril au 1er avril 1555 (pour seulement 22 jours), Marcel II (1501 -1555), et de 1555 à 1559, Paul IV (1476-1559).
Ouverture : jusqu'au dimanche 11 février, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d'entrée (incluant l'accès aux collections permanentes) : 8€ (4€, de 12 ans à 25 ans, dès 60 ans, pour les membres de groupes de minimum 5 personnes / 0€, pour les moins de 12 ans, les enseignants, les "Art. 27", les détenteurs du "MuseumPassMusées" &, pour tous, le dimanche 04 février. Catalogue (Dr. Judith Dietz/Ed. "Art Gallery of Nova Scotia"/broché/2017/240 p.) : 50€. Contacts : 081/84.02.00 & info@lasan.be. Site web : https.//www.lasan.be & https.//museedesartsanciens.be.
Soulignons que le "TreM.a" sera fermé pour rénovation, dès le mercredi 21 février. Le bâtiment contemporain ré-ouvrira le vendredi 29 mars, les travaux continuant dans l'édifice historique, l'hôtel particulier de Gaiffier d’Hestroy et de Tamison, édifié au XVIIIè siècle, légué, en 1950, à la Province de Namur.
Profitant de cette fermeture temporaire, le "Trésor d'Hugo d'Oignies", un joyau d’orfèvrerie du XIIIè siècle, sera exposé, pour la première fois, à Paris, au "Musée de Cluny".
Yves Calbert.