« Family Matters », à la « Villa Empain », à Ixelles, jusqu'au 28 Mai

écrit par YvesCalbert
le 23/05/2023

« Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur  façon » (Léon Tolstoï/1828-1910/dans « Anna Karénine »/1877).

Jusqu’au dimanche 28 mai, la « Fondation Boghossian » nous présente « Family Matters », une exposition  réunissant, à la « Villa Empain », à Ixelles, une vingtaine d’artistes contemporains, de tous horizons et générations.

Pour accéder à la « Chambre Nord », à l’étage, nous écartons les rideaux noirs d’une première pièce, pour découvrir une vidéo d’une réalisatrice française – diplômée, en 2015, de l’ « ENSA » (« Ecole Nationale Supérieure d’Art », à Dijon – Amélie Berrodier (°1992), intitulée « Le Repas »(2018/38′).

Peu nombreux sont les visiteurs qui resteront assis durant 38 minutes, pour assister à l’intégralité d’un repas familial sans paroles … Et pourtant, avec ses gros plans sur trois, deux, voire un seul convive(s), mangeant calmement, sans le moindre mot prononcé, du potage, avec son fromage rapé, à l’assiette de fromages, suivi des fruits, en passant par la découpe du grand pain familial, ainsi que le service de l’eau, du vin rouge et du café.

Dans le carnet du visiteur, offert à l’accueil, nous lisons : « Maniant la caméra avec une extrême sobriété, l’artiste aime, avant tout, penser la rencontre, la confrontation avec l’autre, ; elle annalyse le langage, celui des mots, des corps, mais aussi du silence et de la simple présence. Son oeuvre permet ainsi de concentrer le regard sur des moments qui ne sont habituellement pas l’objet principal de notre attention. »

Heureusement pour nous, les autres vidéos sont nettement moins longues, dépassant rarement dix minutes, comme, dans les « Appartements de Madame », « All together now … » (2005/3′), une vidéo d’un artiste belge  ayant exposé aussi bien à Buenos Aires qu’ à New York, Hans Op de Beeck » (°1969), nous présentant  des  extraits de trois repas familiaux, dans trois contextes sociaux différents, ceux d’un mariage, d’un anniversaire et de funérailles. Ici, non seulement les conversations sont diffusées, … au ralenti, … dans une totale incompréhension, mais aussi, il y a davantage de mouvements, de sentiments, jusqu’à l’échange d’un baiser  passionné, sans oublier le décor des tables et le port de vêtements de circonstances.

Dans la « Chambre d’Amis », nous découvrons « Chez nous » (2017/23’26), film dans lequel cinq soeurs fêtent la Noël, alors que leur mère, alitée, vit ses derniers instants. Cette fiction d’Ariane Loze (°1988), a la particularité que tous les rôles sont interprétés par … la réalisatrice belge, ayant étudié étudié la mise-en-scène au « RITCS »  (« Royal Institute for Theatre, Cinema and Sound »), à Bruxelles, avant d’être résidente au « HISK » (« Hoger Instituut voor Schone Kunsten »), à Gent, et d’être la lauréate, en 2015, du « Prix Art Contest », soutenu par la  « Fondation Boghossian », ainsi qu’en 2018, le « Prix du département des Hauts de Seine », au « Salon de Mont-Rouge ».

« ‘Chez nous’ livre du foyer familial une vision toute en paradoxes, dans laquelle l’intime se retrouve neutralisé par la dimension générique des habitudes », écrit le critique d’art Florian Gaité.

La seule séquence violente de « Family Matters », nous la trouvons dans l’étroite « Salle de Bain bleue » , où un téléviseur nous propose « Violent Incident » (1986/28′), réalisé par un artiste américain influent, Bruce Nauman  (°1941), dont plusieurs de ses travaux font partie des collections permanentes du « Guggenheim », à New York, de la « Tate Modern », à Londres, du « Centre Pompidou », à Paris, ou encore, avec l’oeuvre présente, du  « SMAK »  (« Stedelijk Museum voor Actuele Kunst »), à Gent. Artiste reconnu, il a reçu, en 2009, le « Lion d'Or », à la  « Biennale de Venise ».

Nous sommes confrontés, ici, avec une répétition d’une violence cruelle, destructrice, inutile et aliénante, dans laquelle les jugements moraux sont remis en question, à mesure que les rapports de pouvoir changent entre les rôles féminins et masculins, deux personnages de sexes opposés étant aux prises.

Arrivés dans les « Appartements de Monsieur », c’est une installation de trois vidéos, de 4’37 chacune, « Mother Tongue » (« Mère Langue »/2002,) oeuvre de l’artiste pluridisciplinaire française Zineb Sedira (°1963), qui reçut, en 2022, une « Mention spéciale du Jury », à la « Biennale de Venise »., ayant étudié à Londres, au « Central Sint-Martins College of Art and Design » et à la « Stade School of Fine Art ».

Ce triptyque nous permet d’écouter, tour à tour, d’un écran à l’autre, écouteurs sur nos oreilles, l’artiste et sa mère,  l’artiste et sa fille, ainsi que la mère et la fille de l’artiste, dans un dialogue de transmission de la mémoire familiale, au cours duquel chacune parle la langue dans laquelle elle sait s’exprimer. Pour l’artiste, qui s’exprime en anglais,  en arabe et en français, il n’y a aucun problème. Par contre, entre la grand mère et la petite fille, troisième volet du tryptique, un silence malaisant met en évidence une fracture, posant la question de la transmission dans un monde globalisé, où l’intégration dans un monde globalisé peut se faire au détriment de sa propre généalogie.

Dans ces mêmes appartements, nous trouvons « The Combing » (2014/3’43), un court-métrage dans lequel deux jeunes femmes sont engagées dans un « pas de deux », sur une musique du compositeur autrichien Johann Strauss le Jeune (1825-1899) : « An der schönen, blauen Donau » (« Le Beau Danube bleu »). Une authentique  chorégraphie, au geste précis, parfois à la limite du brutal, par laquelle chacune semble réorganiser, d’une manière surréaliste, la chevelure de l’autre.

Répertoriée dans les collections du « SMAK » (« Stedelijk Museum voor Actuele Kunst« ), à Gent, ce film est l’oeuvre d’une musicienne, membre du duo pop éclectronique alternatif « Gauss ». Artiste plasticienne belge, Elke Andreas Boon (°1969), a étudié la mode et la photographie, au « KASK » (« Koninklijke Academie voor Schone Kunsten »), à Gent, obtenant, également, un « Master en Mixed Media ».

Toujours dans les « Appartements de Monsieur », l’artiste belge Paul Gérard (°1998) – diplômé de l’ « Atelier d’Espace urbain », de l’ « ENSAV-La Cambre«  (« École Nationale Supérieure des Arts Visuels »), à Bruxelles, lauréat, en 2021, du « Prix Out of the Box », de la « Fondation Carrefour des Arts« , à Bruxelles – nous présente une installation immersive in situ, intitulée « Etouffé dans la Boue » (2023/Son : 2’06).

Ici, l’artiste nous invite à découvrir l’histoire secrète de sa famille, qu’il a recomposée en se plongeant dans les  archives familiales, mettant à jour des agendas, carnets de dessins, plans, ainsi qu’un journal intime de son grand père, homosexuel, assassiné en 1967. Il nous emporte dans une expérience visuelle, olfactive et sonore,  faisant appel à nos sens, pour reconstituer la mémoire des lieux et évoquer la mémoire enfouie.

Enfin, sur l’un des murs de ces mêmes appartements, nous trouvons une création au fusain, « Lefkes » (2023), réalisée in situ, sur la base d’une photographie du compagnon de l’artiste plasticienne française Aghate Bokanowski (°1980).

Cette oeuvre éphémère, comme deux autres, met en évidence le rituel des retrouvailles estivales, des captures d’instant vouées à disparaître, alors que celle-ci et deux autres, « Aspri » (2023) et « Adrien » (2023), respectivement la fille et le neveu de la même artiste, décorent particulièrement bien plusieurs murs de la « Villa Empain », terminée en 1934. sous la conduite de l’architecte belgo-suisse, né au Mexique, Michel Polak (1885-1948), figure essentielle de l’Art déco bruxellois, propriété du baron Louis Empain (1908-1976), jusqu’en 1973. 

« Transmission Line »/3 vidéos/2017-2019 © Sophie Whettnall

En descendant, ayant jeté un ragard sur la superbe piscine, protégée par des tentures, nous découvrons un  triptyque  vidéo de l’artiste multidisciplinaire belge – lauréate, à Bruxelles, en 2004, du « Prix de la jeune Peinture belge » -, Sophie Whettnall (°1973), intitulé « Transmission Line » (2017-2018/4’52), se concentrant, en noir et blanc , sur les visages et les yeux de l’artiste, sa fille et sa mère, dans une lumière très cinématographique, brouillant la parole transmise, une image de cette oeuvre illustrant l’affiche officielle de « Family Matters ».

En sortant par les salons du rez de chaussée, sise entre l’accueil et le restaurant, l’installation « Chaises à Bascule » (2009), d‘Elodie Antoine (°1978) ne peut échapper à nos regards, cet artiste belge ayant été la lauréate, en 2004, du « Prix Luxembourg Arts Plastiques » et, en 2002, du « Prix de la jeune sculpture de la Fédération Wallonie-Bruxelles ». Ces deux « rocking chairs », reliées entre elles, sont-elles les prémisses d’une conversation ?

Artistes présentés :  Elke Andreas, Elodie Antoine, Danielle Arbid, Amélie Berrodier, Agathe Bokanowski, Paul Gérard,  Sandra  Heremans, Sandra Lecoq, Ariane Loze, Valérie Mréjen, Henry Moore, Bruce Nauman, Kika  Nicolela,  Hans Op  de  Beek, Anne-Marie Schneider, Franck Scurti, Zineb Sedira, Sophie Whettnall & Maha  Yammine.

Le film « All together now … » ayant pu creuser notre appétit, nous pouvons profiter, au « Café de la Villa », d’une  cuisine d’inspiration libanaise, avec ses brioches toastées saines et gourmandes, aux saveurs méditerranéennes,  un subtil mélange entre parfums d’Orient et d’Occident, proposé par l’équipe de « Beli », un restaurant du  « Sablon ».  

Le cadre raffiné « Art déco » de ce « Café de la Villa » nous offre une ambiance apaisante. Etant conçu pour accueillir 28 couverts, ce lieu est enrichi par la présence d’un bar à l’américaine, élément particulièrement en vogue durant les années 1930, la baie vitrée s’ouvrant sur une petite terrasse, avec vue sur des pins centenaires.

Ouverture : du mardi au dimanche, de 12h à 16h, sans réservation.

Retour à cette première exposition :

« Dix-neuf artistes viennent apporter leur contribution plastique et intellectuelle à cet enjeu de départ : lever le rideau sur la sphère intime, et parler, dans des dimensions esthétiques et réflexives, de ce qui fait la famille. Des repas. Des ressemblances. Des névroses. Des souvenirs » (« La libre Belgique »/11 mars 2023).

« Family Matters » nous propose un récit construit sur le dialogue entre des œuvres, qui explorent, successivement, les sujets de l’enfance, du couple, des parents et des grands-parents, de la fraternité, de la sororité, de la sexualité  ou de la transmission intergénérationnelle. Au travers des dessins, vidéos,  installations,  sculptures, peintures et  vidéos, « Family Matters » nous invite à vivre une succession d’expériences individuelles et collectives, sur le thème de la famille.

Une seconde exposition, « Ornamentum – Bijoux d’Artistes – Collection Diane Venet » nous attend au sous-sol.

Un bijou d’artiste, comme une peinture ou une sculpture, est une œuvre d’art. Né de la même approche créative, il possède la même force, la même poésie et la capacité de provoquer, faisant, parfois, preuve d’humour. Seule leur fonction les différencie l’un de l’autre.

Geste d’affection, le bijou d’artiste, souvent conçu pour un proche, est l’œuvre de peintres ou de sculpteurs, pour lesquels cette pratique reste inhabituelle. Quel que soit le mouvement d’art auquel il appartient, un bijou d’artiste  témoigne d’un renouvellement de l’approche à l’art, de peintres ou de sculpteurs, un renouvellement qui est peut-être plus amusant, mais tout aussi rigoureux, sachant que la valeur d’un bijou d’artiste ne peut pas se mesurer en carats.

Près de 200 petites et précieuses œuvres d’art nous sont proposées, remettant en question le sens et la fonction de la bijouterie, ces créations sont toujours l’aboutissement d’une rencontre.

Inspirée par des coups de cœur, cette exposition est à l’image de la passion de la collectionneuse parisienne Diane Venet pour la création :  éclectique, ludique et exigeante. Au fil du parcours, les grands mouvements modernes et contemporains sont représentés : le Surréalisme, l’Art abstrait, le Pop Art, les nouveaux Réalistes, l’Art Cinétique,  l’Art minimal et l’Art conceptuel.

Diverses vidéos, nous permettent de voir et d’écouter différent.e.s créateurs.trices contemporain.e.s, alors que  différents cartels et panneaux nous présentent, plus en détails, certains bijoux d’artistes, rattachant le travail de  nombreux artistes à différents mouvements artistiques. Ainsi, l’on attire, par exemple, notre attention sur une  bague créée par Yoko Ono (°Tokyo/1933), en forme de disque vinyle, en hommage aux chansons de John Lennon  (1940-1980), rappelant, par son nom, « Peace » (2004), leur engagement commun pour la paix. Notons, aussi,  le nom donné à une autre bague, créée par Delphine de Saxe-Cobourg-Gotha : « The Golden Blabla Ring » (2010).

Parmi les bijoux d’artistes exposés, notons des oeuvres attachantes de Karel Appel, Jean Arp, Giacomo Balla,  Georges Braque, Pol Bury, César Baldaccini, Jean Boghossian, Alexander Calder, Jean Cocteau, Corneille  (Guillaume Cornelis van Beverloo), Salvador Dali, Giorgio De Chirico, Wim Delvoye, Niki de Saint-Phalle, Delphine de Saxe-Cobourg-Gotha, Max Ernst, Lucio Fontana, Hector Giacomelli, Keith Haring, Fernand Léger, Roy Lichtenstein, Yoko Ono, Pablo Picasso, Man Ray, Takis (Panayótis Vassilákis), Victor Vasarely (Győző Vásárhelyi),  Claude Viallat, Andy Warhol (Andrew Warhola), …

A noter qu’à partir d’un « QR code », « Ornamentum » s’accompagne d’une pièce sonore, conçue par l’artiste italienne Sheila Concari, cette composition inédite mêlant des sons électroniques et des citations de Diane Venet.

Ouverture de la « Villa Empin » : jusqu’au dimanche 28 mai, du mardi au dimanche, de 11h à 18h. Prix d’entrée  (accès aux deux expositions de la Villa Empain) : 12€ (8€, pour les étudiants, enseignants, personnes porteuses d’un handicap, seniors {dès 65 ans} et membres d’un groupe de minimum 8 personnes / 4€, pour les étudiants, de 12 à 25 ans / 1€25, pour les « Art. 27 » / 0€, pour les moins de 12 ans, pour les détenteurs du « museumPASSmusées » ou de la « Brussels Card » & pour tous, tous les premiers mercredis du mois & le jour de son anniversaire). Visites guidées gratuites : sur réservations, tous les premiers dimanches du mois. Catalogue :  disponible, sous forme de coffret, pour l’exposition « Ornamentum ». Contacts : info@boghossianfoundation.be &  02/627.52.30. Site web : https://www.villaempain.com/.

Yves Calbert.

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