A Fourons, les associations caritatives ont perdu la collecte de vêtements
Le retrait s’est fait de manière discrète, mais depuis quelques semaines, les conteneurs de l’asbl flamande Weredl Missie Hulp, et de l’asbl francophone Terre ont disparu du paysage fouronnais.
Vêtement = déchets !
Terre n’était déjà plus qu’en sursis: l’association fondée en région liégeoise par William Wauters avait été priée de plier bagage dès 2005. En conseil communal, un élu flamand, Victor Walpot, avait été jusqu’à déclarer que «Terre n’a plus le droit de venir ici. Un point c’est tout». Et le bourgmestre Voerbelangen de l’époque, Huub Broers, avait précisé la diatribe de son colistier flamingant en expliquant que l’asbl liégeoise bénéficiait bien d’une autorisation nationale dans le cadre d’un arrêté royal sur les associations de bienfaisance, mais qu’elle devait en plus se soumette au décret flamand sur l’enlèvement… des déchets. Et que faute de rapport d’activités (en néerlandais, of course); de statistiques de ramassage, et de collaboration avec un utilisateur final «reconnu» par la Vlaamse Overheid (l’autorité flamande), elle ne pourrait poursuivre ses collectes de vêtements dans les six villages de la vallée de la Voer.
Les responsables de l’asbl Terre avaient reçu le message et s’en étaient émus, dans la mesure où ils disposaient notamment d’une autorisation de collecte aux… Pays-Bas, et donc notamment à un jet de pierre de Fourons. Mais une solution pragmatique avait été trouvée: ses conteneurs avaient été déposés sur des terrains privés, tandis que l’asbl flamande Wereldmissie Hulp déposait les siens à divers endroits de la commune, avec le fiat de la majorité flamande.
Trop de dépôts sauvages
Désormais, tous ces conteneurs ont disparu.
«C’est une décision communale», confirme le bourgmestre actuel, Joris Gaens. La raison? «Les conteneurs étaient vidés de manière beaucoup trop tardive. Résultat: souvent, des sacs de vêtements étaient abandonnés à leur pied; ce qui entraînait des dépôts d’immondices. Nous avons reçu beaucoup de plaintes à ce propos, et nous l’avons constaté nous-mêmes». D’où cette décision radicale, «car cette situation n’était évidemment pas favorable au domaine public. Et puis, il y avait une alternative valable».
Payer pour se débarrasser de ses vêtements
Cette alternative, ce sont des sacs précisément prévus pour l’enlèvement de vêtements à donner, «au prix d’un euro pour un rouleau de vingt sacs de cinquante litres, soit 5 centimes au sac», précise Joris Gaens. Ces sacs sont enlevés par le système de ramassage Optimo de l’intercommunale limbourgeoise de récolte des… déchets, Limburg.net. «Mais il reste des conteneurs au parc environnemental communal, où on peut toujours déposer gratuitement des textiles», ajoute le mayeur fouronnais. Des conteneurs… de Limburg.net.
«Depuis le 1er janvier de cette année, Limburg.net récolte effectivement du textile de deux manières», explique la porte-parole de l’intercommunale limbourgeoise, Ilse Luypaerts. «D’une part, il y a des conteneurs blancs, placés et vidés dans le cadre d’un contrat public. D’autre part les sacs orange, récoltés en porte-à-porte par nos services».
«En qualité d’intercommunale des déchets limbourgeoise», Limburg.net estime qu’il est «important de retraiter au niveau local la plus grande partie des textiles que nous récoltons dans la province et à Diest» poursuit Ilse Luypaert. C’est pourquoi «nous avons choisi volontairement que 40% de l’emploi dans nos points de collecte soient réservés à des emplois sociaux, et à des entreprises qui prennent en charge l’intégration de personnes handicapées ou qui ont peu de chances de trouver du travail. Ainsi, nous sommes certains d’assurer de l’emploi local et durable, pour des personnes parfois fort éloignées du marché du travail».
Recyclage et revente
Le textile récolté dans les conteneurs est prix en charge par un sous-traitant. «Le textile réutilisable est réutilisé dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Il est pris en charge par des magasins de seconde main, des CPAS, ou des organisations de lutte contre la pauvreté. Le textile non-réutilisable, lui, est recyclé» ajoute la porte-parole. «Nous pouvons ainsi garantir que tout le textile récolté trouve une destination, et que sa plus grande part reçoit une deuxième vie».
Soupe à la grimace
Pour les asbl évincées, c’est plutôt la soupe à la grimace.
Du côté de Terre, on fera sans doute contre mauvaise fortune bon cœur, en se disant qu’entre 2005 et 2022, grâce à des privés, l’asbl francophone a échappé à une expulsion programmée par l’autorité flamande. Et espérant que les Fouronnais(e)s continueront à aller déposer des vêtements dans les dix conteneurs que l’asbl liégeoise a installés à parts égales à Warsage et à Aubel.
Le monde associatif, qui affiche sa volonté de «créer des emplois durables pour des personnes en situation d’insertion», de «préserver l’environnement en réduisant les déchets et encourageant une attitude responsable»; de «développer une activité économique selon les principes de l’économie sociale et solidaire»; et qui, dans cette perspective déploie «des filières de réutilisation et de recyclage de textile usagé en circuits courts»; propose «des vêtements à bas prix principalement au travers de nos magasins de seconde main»; et crée «des partenariats à l’échelle locale, nationale et internationale majoritairement avec les acteurs de l’économie sociale solidaire» doit néanmoins voir d’un mauvais œil une puissante intercommunale, soutenue par l’autorité flamande, phagocyter ainsi ses objectifs et ses activités.
Le constat est encore plus cruel pour Wereld Missie Hulp, qui confirme le retrait de ses conteneurs à Fourons, mais conteste la raison invoquée à l’appui de cette décision.
«Il n’y a jamais eu de surcharge au pied de nos conteneurs, que nous avons vidés de manière régulière. Et nous en avons eu confirmation en vérifiant les quantités prélevées», explique Koen Verbraeken, responsable de la logistique de l’asbl.
Le secteur associatif de la revue
«Ces deux dernières années, nous avons dû retirer énormément de conteneurs dans certaines communes flamandes,» ajoute notre interlocuteur.
Le mécanisme est passé par «des adjudications lancées par des intercommunales, évidemment remportées par des sociétés commerciales, qui ont déposé des offres financières beaucoup plus importantes, auxquelles le secteur des entreprises du secteur associatif ne pouvaient répliquer».
Résultat des courses, «la situation devient de plus en plus difficile pour nous. Car chaque conteneur enlevé représente moins de textile récolté. Et donc moins d’argent que nous pouvons consacrer à nos projets caritatifs».
Sur son site, Wereld Missie Hulp affiche notamment les projets qu’elle mène en Tanzanie, au Népal, en République Démocratique du Congo, en Éthiopie, au Burkina Faso, au Cameroun, au Kenya, au Cambodge, en Thaïlande, au Pérou, en Ouganda, au Togo, en Bolivie, aux Philippines, en Haïti, au Népal, au Sénégal, au Myanmar, au Mali, en Inde, en Équateur, au Brésil, etc…
«Pour tous ces projets, c’est la récolte de vêtements qui nous fournit les moyens de les financer», commente l’asbl sur son site Web. «Hélas, pour l’instant, nous traversons des temps difficiles, en raison de la pression commerciale croissante sur le commerce du textile. L’impact de ce phénomène sur la poursuite de nos projets est grand»….
© Philippe LERUTH