"Identités décoloniales de l'Afrique à Mons", au "Mons Memorial Museum", jusqu'au 02 Juillet
« Je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos coeurs … C’est une lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang. Nous en sommes fiers, jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force » (discours de Patrice Lumumba {né Élias Okit’Asombo/1925-1961}, premier ministre et ministre de la défense de la R.D.C. (République Démocratique du Congo), fondée ce jour là, le 30 juin 1960, à Léopoldville), avec Joseph Kasa-Vubu, comme premier Président.
Voici des mots qui justifient l’existence de la présente exposition – « Identités décoloniales de l’Afrique à Mons » – présentée au « Mons Memorial Museum » (« M.M.M. »), inauguré en 2015 sur le site de l’ancienne machine à eau – qui devait se terminer le dimanche 21 mai, mais qui est, fort heureusement, prolongée, juqu’au dimanche 02 juillet, à 18h.
Cette expo, petite en taille, mais qui peut prendre jusqu’à 4 heures de visite, si nous écoutons attentivement les propos de Montois – présentés tout au long de treize vidéos, dont sept équipées d’écouteurs, via de petits écrans – et si nous lisons les nombreux textes, qui peuvent être relus ultérieurement, à domicile, grâce à un « carnet du visiteur » de 30 pages, qui nous est gracieusement remis à l’accueil du musée.
Notons que cette exposition, suivant un ordre chronologique, nous est présentée en six chapitres : « Etat indépendant du Congo » (1885-1908), « Période coloniale » (1908-1940), « Emancipation africaine » (1940-1960), « Décolonistion » (1962-1990) et « Confrontation à l’Autre » (1990-2022).
Comme nous le signalait Corentin Rousman, conservateur, depuis 2019, du « Mons Memorial Museum » : « Cette expo n’offre la parole qu’à des Montois (aus sens large du mot, puisque citoyens habitant dans la Région de Mons/ ndlr) qui ont vécu au Burundi, au Congo, ou au Rwenda, ou à leurs descendants, tous ayant prêté des objets témoignant de leur vécu en Afrique ou ayant été reçus en héritage de leurs aïeux. »
Tous ces objets sont à comprendre comme des transmetteurs mémoriels et historiques, majoritairement liés à un individu, ceux-ci prenant de la valeur en lien avec l’histoire qui s’y réfère, permettant de relier l’humain à son passé, ayant été sélecionnés par les prêteurs eux-mêmes, relevant davantage d’un choix émotionnel que d’un choix artistique ou scientifique.
Notons que les enregistrements que nous pouvons écouter ne représentent qu’une infime portion des 60 heures d’enregistrements qui ont été réalisés.
Le commissaire, Pitcho Womba Konga (Laurent Womba Konga/°Kinshasa/1975), artiste multidisciplinaire, rappeur, acteur et réalisateur belge, d’origine congolaise, écrit, notamment : « L’Europe est une amie qui s’est éprise d’amour pour l’argent, une amie qui s’était prise longtemps pour ‘Tarzan’ et qui nous a pris longtemps pour ‘Cheeta’ (un chimpanzé, décédé en 2011, à 80 ans, qui, sur l’écran, accompagnait « Tarzan »/ndlr), à cause de nos sourires (des Africains de race noire/ndlr)‘Bananias Chiquitas’. Un ami qui aime être le maître ou le patron, qui aime prendre son temps pour demander pardon. »
Après avoir visioné un premier montage vidéo, dans la petite salle de projection, entrant au sein de l’exposition nous découvrons un buste en porphyre, réalisé, vers 1900, par le sculpteur ixellois Guillaume Charlier (1854-1925), qui était repris, dans l’inventaire des collections coloniales, sous l’appellation « Panda, nègre du Congo », aujourd’hui nommé plus respectueusement « Buste de Paul Panda Farnana », qui, en fait, devint, en 1907, à l’ « Ecole horticole », à Vilvorde, le premier Congolais diplômé de l’Enseignement supérieur belge, avant d’étudier l’anglais, à Mons, et d’obtenir, au Congo, en 1909, le poste d’attaché au « Jardin Botanique », à Eala, dans la Province de l’Equateur.
Ayant reçu, en 2001, l’ « Etoile du Service », une distinction octroyée aux fonctionnaires belges du Congo, ayant été , en 2014, volontaire dans l’armée belge, il plaida, au premier « Congrès colonial national », en 2020, pour que des Congolais puissent accéder aux grades supérieurs de l’administration belge.
Un buste en bronze, lui fait face, réalisé par le sculpteur belge Thomas Vincotte (1850-1925). Il s’agit de celui du second Roi des Belges (de 1865 à 1909), Léopold II (Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha/ 1835-1909).
Offert par d’anciens diplômés, travaillant au Congo belge, il fut placé durant une vingtaine d’années dans une salle de l’Université de Mons. Proche de ce buste, au sein d’une vidéo, nous voyons et entendons une étudiante universtaire, Marie-Fidèle Dusingize, à l’origine d’une pétition signée par 2.500 personnes, qui incita l’ « UMons » a le déplacer dans les réserves des « Musées de l’Université ».
En page 302 du catalogue, nous lisons les mots de cette ancienne étudiante : « Je me rappelais que j’avais été confrontée au buste de Léopold II, quand javais eu un cours de sociologie. Quel pardoxe c’était ‘sociologie de la migration’. Lors de mon exposé, j’avais le buste de Léopold II qui me regardait, je ne sais pas si vous pouvez imaginer la violence que ça peut être pour une personne comme moi. Tout cela dans un espace universitaire, temple du savoir, temple de la déconstruction, temple de l’éclairage intellectuel. »
Cécile Devos, d’Hyon-Mons, témoigne, en pages 378-379 du catalogue : « Pourquoi on est rentrés en Belgique ? ... C’était la vie ou la mort, donc autant qu’à faire autant se sauver … On voyait beaucoup de Noirs avec des fusils, … ce n’était pas sécurisant du tout, papa a acheté un revolver et le gardait sur lui en permanence, à ce moment là … Il nous a réveillés pendant la nuit ‘allez vous partez-vous partez, vous pouvez choisir un jouet‘, évidemment j’ai pris ma poupée … Je ne peux pas m’en débarasser, ce n’est pas possible, il faut qu’elle reste là, elle me suit partout, elle est dans ma chambre, dans mon bureau … voilà, je l’ai toujours avec moi », … sauf jusqu’au dimanche 02 juillet, ayant choisi de la prêter au « M.M.M. », dans le cadre de la présente exposition.
Si sa poupée est celle d’une fillette blanche, une autre poupée, en celluloïd, mais d’une fillette noire, est exposée, propriété de Marina Balbeur, dont nous retrouvons le témoignage, en page 267 du catalogue : « Cette poupée (héritée de sa tante/ndlr), je me dis qu’il faudrait en fabriquer plus en Belgique, pour que les enfants apprennent qu’il n’y a pas que des Blancs en Belgique, mais qu’il y a des gens de couleur. »
Egalement, nous trouvons une enseigne, à l’effigie d’un planteur américain noir, d’origine africaine, intitulée « Au Moriamé », qui désignait, à la fin du XIXè siècle, une Maison de Tabac, rue de Nimy, à Mons, … un cliché raciste, servant d’argument de vente, pour le tabac, le vin ou divers objets de confort, associant l’homme noir à la jouisance ou à la paresse …
… Un homme noir, avec un large sourire, que nous retrouvons, en vitrine, sur un flacon de liquide vaiselle, pour le nettoyage du métal, de la firme « Ca va seul » – portant la mention « Négrita » -, nous rappelant cet autre homme noir souriant, « l’Ami y a bon », qui, de 1915 à 2011, figurait sur les boîtes de chocolat en poudre « Banania », ceci dans l’espoir de doper les ventes, jusqu’à l’intervention du « MRAP » (« Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples »), l’objet « Ca va seul » étant prêté par Cécile Rugira.
Ayant obtenu un diplôme de baccalauréat en pharmacie, à l’ « Université nationale du Rwanda », cette dernière dû quitter son pays en 1994, suite au génocide, portant son diplôme sur son ventre, afin de ne pas le perdre et que nul ne puisse le lui prendre. Arrivée en Belgique, elle découvrit que ce diplôme n’avait aucune valeur … Ce fut l’occasion pour cette personne volontaire, mère de famille, de suivre des études universitaires, à l’ « UCL Mons », en cours du soir, obtenant, en quatre ans, un « master en politique économique et sociale ».
Avant cela, nous lisons, en page 250 du catalogue, ce qui lui arriva alors qu’elle travaillait, à Mons, comme assistante en pharmacie, son patron lui disant : « Je vois qe tu es une très bonne préparatrice en médicaments, tu sais bien faire les choses, mais, malheureusement, je ne peux pas te mettre au comptoir, parce que mes clients risquent de ne pas t’accepter et je perdrais des clients. Mais tu vas rester derrière (sic) pour fabriquer des médicaments. » … Une bien triste illustration du racisme, … qui la motiva à entreprendre, avec succès, ses études universitaires montoises.
Par ailleurs, une vidéo nous révèle qu’une dame belge, de race blanche, la maman de Pierre Bracaval, avait abatu, dans les années ’40, un léopoard, qui venait de s’introduire dans son poulailler. La population locale vénérant les léopards, elle fut, dès lors, considérée avec bienveillance, telle une cheffe autochtone, … la peau de ce léopard étant exposée sur l’un des murs de l’exposition.
A noter que les petits-fils, Roman et Tristan, de cette dame interviennent en vidéo, posant à leur grand-père des questions (page 161 du catalogue) telles que : « Bon papa, pourquoi tu n’es pas retourné au Congo et est-ce-que tu voudrais y aller avec moi ? Est ce que vous avez mangé le léopard ? Est-ce que les ‘boys’ sont payés ? »
A cette dernière question, voici la réponse de leur grand-père : « Non, ils ne sont pas payés, mais ils mangeaint avec mes parents, ils étaient ‘récompensés’ (sic) pour le travail qu’ils faisaient. Ils avaient, peut-être, un petit salaire. Ce n’était pas un salaire fixe mensuel, comme on connait aujourd’hui … Il n’y avait pas de monnaie (comme ‘récompense’/ndlr), c’étaient des services que mes parents leur rendaient. Comme, par exemple, lorsqu’un enfant était malade, ils le soignait en allant chercher, dans la forêt, une plante qui pouvait, éventuellement, le guérir. Cela ne marchat pas toujours … (Parfois) on lui donnait gratuitement (sic) un médicament en fonction de la maladie qu’il pouvait avoir. »
Des propos d’une autre époque qui peuvent expliquer ce que ressentent, aujourd’hui, les hommes et femmes noir.e.s, exploité.e.s durant toute la période coloniale, … subissant, parfois, des sévisses physiques de certains coloniaux, qui abusaient de leurs positions dominantes.
Par ailleurs une autochtone, diplomée d’une Université, en Afrique, son diplôme étant exposé, dût accepter que celui-ci n’était pas reconu en Belgique …
Notons encore la présence d’une baratte de beurre, d’un bulletin scolaire, d’un caméléon de Jackson, conservé dans une solution de formol, d’une chemise à l’effigie de Patrice Lumumba, d’un diplôme de passage de l’Equateur, de deux anciens films 8 m/m réalisés par des colons belges, d’un vase en ivoire, d’un morceau de malachite, d’un foulard scout du Katanga, du menu d’un déjeuner du bateau « Lumumba » reliant la Belgique au Congo belge, d'un pagne, d’une plaque de train, …
… Tout au long de l’exposition, nos enfants suivent un parcours qui leur est dédié, illustré par des cases agrandies d’une bande dessinée, créée par le dessinateur congolais Léon Tshibemba (Léon Tshibemba Ngandu-Mbes/°Kipushi/1954). Diplômé de l’ « Académie des Beaux-Arts, à Lubumbashi et de l’ « Ecole supérieure d’Arts et Design », à Saint Étienne. Grâce à une bourse, en 1988, il s’installa en Grèce, où il obtint un diplôme de langue grecque moderne, à l’ « Université Aristote », à Thessalonique, où il enseigna les arts, à l’ « Ecole française », avant de devenir caricaturiste pour un quotidien grec, son album de BD étant en vente à l’accueil du musée.
Outres ces illustrations à l’attention de nos enfants, soulignons la présence de nombreuses photos d’époque, en noir et blanc, évoquant la vie de nos coloniaux belges, en Afrique.
A noter que jusqu’en 1982, le « Cercle Royal congolais de Mons » rassemblait les anciens coloniaux de la Région. Des journées coloniales furent encore organisées, de 1987 à 2015, année de la dernière organisation d'une cérémonie du souvenir, devant la « Plaque des Pionniers », sise sur un mur extérieur de l’Hôtel de Ville, l’association montoise des anciens d’Afrique, à la tête de cet événement, » Simba », arrêtant ses activités, en 2020, faute de membres.
L’exposition “Identités décoloniales. De l’Afrique à Mons” offre aux visiteurs de nouvelles clés de compréhension face aux représentations coloniales présentes dans l’espace public, illustrées par divers témoignages et objets récoltés durant un an dans la Région de Mons.
En complément à la présente exposition, soulignons qu’un livre-catalogue (sous la direction scientifique de Corentin Rousman/Ed.« Pôle muséal de la Ville de Mons »/2023/490 p.) nous attend à l’accueil, l’occasion pour chacun d’entre nous, de relire les propos des personnes de la Région de Mons, âgés de 6 à 93 ans, qui on prêtés chacun un objet en rapport avec leur présence ou celle de leus parents sur le sol burundais, congolais ou rwandais, ces objets étant exposés, allant d’un simple bulletin scolaire de Christine Niyigena, jusqu’au djembé de Furayah Kayembe en passant par une machette d’Arnaud Schils ou des poupées de Maria Balbeur et de Cécile Devos.
Pour les enfants et les amateurs, de tous âges, de bandes dessinées, soulignons que l’album de BD, « L’Aventure coloniale, Traces d’une Histoire érangeant à Mons », signée Léon & Pie Tshibemba, est, également, en vente à l’accueil.
En page 237 du catalogue, nous lisons : « On s’apperçoit que les Européens vivaient séparés de la population locale, ils avaient des ‘boys’ (nom donné aux serviteurs des coloniaux/ndlr) qui logeaient sur place, mais ils avaient des quartiers où ils étaient regroupés (et où) ils avaient des fêtes entre eux. »
Soulignons, enfin, ce qu’écrivent les organisateurs de cette très intéressante exposition, particulièrement importante sur plan didactique : « Notre objectif n’est pas de juger des comportements, mais de les comprendre, à travers le prisme de la société de chaque époque. »
Ouverture : prolongation jusqu’au dimanche 02 juillet, du mardi au dimanche, de 10h à 18h (dernière entrée à 17h). Fermeture (« Ducasse » ) : les vendredi 02 & dimanche 04 juin. Prix d’entrée (incluant un carnet du visiteur {30 pages} et l’accès à la collection permanente) : 9€ (6€ & 2€, en tarifs réuits / 0€, pour les moins de 12 ans, pour les détenteurs du « museumPASSmusées », ainsi que, pour tous, les dimanches 04 juin & 02 juillet). Visites guidées de l’expo (pour individuels, le dimanche 25 juin, de 14h30 à 16h) : supplément de 2€. Transports publics : arrêt du bus R, des « TEC », devant le musée, en provenance de la gare « SNCB » de Mons. Catalogue : 39€. Bande Dessinée : 14€. Réservations (non oligatoires) : 065/33.55.80. Contacts : polemuseal@ville.mons.be & 065/40.53.20. Site web : https://www.monsmemorialmuseum.mons.be/.
Yves Calbert.