La désaltafalésiation

écrit par ReneDislaire
le 21/09/2022

La désaltafalésiation
Vous savez ce que c'est la russification et la désukrainisation?  Alors vous avez compris ce titre.
L'odonymie
C'est l'étude des noms des rues d'une ville, de ses places. Leurs pourquoi, leurs significations.
Patronymes ou noms propres, éléments significatifs du passé, références aux activités économiques - de petites et moyennes entreprises – aux centres de spiritualité, aux cours d'eau et au relief qu'ils ont creusé, la faune, la flore...
L'odonymie fait apparaître les valeurs d'une population, son orientation, son évolution. Davantage de petits métiers anciens au centre de Bruxelles, de personnalités socialistes à Seraing. Des noms neutres dans les lotissements qui ont fleuri dans les lotissements à partir des années 60 : rue des Violettes, rue des Lilas...

De l'odonymie à Houffalize se dégage - se dégageait - le portrait d'une ville au relief accidenté organisée autour d'un château-fort et d'une abbaye tous deux médiévaux, et d'activités économiques liées à l'eau et à la force motrice hydraulique.
Avec des noms savoureux incorporés au fil des siècles.

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Les Houffalois ont été récemment invités, par le support «Houffalize l'Officielle" - qui par définition ne doit contenir que des informations officielles, à : "ce vendredi 12 novembre (2022), inauguration et découverte des escaliers rue Ville Basse". Escaliers qualifiés de "flambant neufs".
En général, les escaliers portent le nom de ce vers quoi ils montent. Ici, "chez Philippart et chez Pesesse". Mais passons.
Les escaliers sont tout autant de la Ville Basse que de la rue de Schaerbeek, autrefois du Haut Pont.

Enfants, les Houffalois ont appris à l'école qu'il s'agissait du Grand Fossé, et du Petit Fossé.
En flambant, les escaliers qualifiés de "flambant neufs" ont faut-il le croire également mis le feu à ce qu'évoquait le mot "fossé". Il s’agissait, enseignaient nos maîtres à des Houffalois pour la vie, d'une œuvre de génie militaire à des fins de protection d'espaces stratégiques.
Dans toute ville historique et touristique qui se respecte, en amont et en aval de chaque escalier, peut-être une petite indication eût-elle exposé  la chose, les choses, car une chose n'existe que par son nom. En revanche, un escalier, il y en a dans chaque maison.
La négation, pour quelque raison que ce soit, de cette odonymie, est une profanation du patrimoine local.

Ce qui est grave, c'est que ça passe inaperçu. Stap voor stap depuis quatre-vingts ans. Et cela ne chagrine personne.

La place du Crucifix et son attribut ont été sacrifiés. C'est la place la plus importante, névralgique, à laquelle on doit faire référence à la croisée des chemins. En substitut au Crucifix, symbole religieux, lumineuse, presque pas antinomique, une enseigne Jupiler.
La ruelle du Moulin. Un accès aux écoles depuis qu’elles existent, particulièrement prisé par temps de neige. Rien que son nom évoquait  l'usage d'outils multiples qui  ont raffermi et agrégé le monde des petites entreprises : écorce, scierie, farine, cuir.
Le Thier des Pourcès. On a fait passer à la trappe le nom le plus vénérable, le plus éloquent, d'une activité mirifique décrite avec tant de poésie et de réalisme par Cosyns dans l'entre-deux guerres encore.  Le Thier des cochons, plus anciennement thier des pourcès. Un odonyme unique, issu de la terre rare et du schiste abondant de notre terroir. Il évoquait le travail le plus bas de nos plus humbles ancêtres: honte à qui en aurait honte. On lui a substitué un nom aussi impersonnel que mercantile qui pousse partout dans le monde, anonyme. Bientôt à la mode, par apocope, la rue du "Pano".
La rue du Haut-Pont. L'articulation maîtresse de l'architecture houffaloise. Jonction dorsale entre les deux pôles du nord et du sud.
L'âme de Houffalize, disait-on à l'époque où ce nom a été troqué contre un autre, tout aussi difficile à prononcer qu'à écrire, en contrepartie" "de boîtes de conserves de sardines de Skarbèk" et de couvertures en petits carrés de tricot multicolores. Jonction entre l'église où sonnent les cloches et le kiosque où résonnait notre Harmonie.
Rue du Haut-Pont, nom que nous aurait envié Paris, dissimulant nul ne savait quels mystères enfouis dont Eugène Sue avait le secret.

Tels sont quelques exemples  éminemment représentatifs de grands stades de l’histoire de notre Ville, engloutis dans l'oubli.

René Dislaire  ©  Houffalize, le 21 septembre 2022.

Présentation. Altafalesia, Houffalize. À l'heure où on ne parle que de désukrainisation sous l'effet de la russification, par analogie, la désaltafalésiation insidieuse et indolore de Houffalize témoigne de l'évolution de certaines valeurs.
 

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