"L’Afrique centrale dans l’Objectif. 100 Ans de Regards subjectifs", au "MusAfrica", à Namur, jusqu'au 23 Février

écrit par YvesCalbert
le 16/01/2023

En cette époque, où la décolonisation est très souvent évoquée, le "MusAfrica", actuellement fermé, nous propose, une fort intéressante exposition de photographies - "L'Afrique centrale dans l'Objectif. Cent Ans de Regards subjectifs" -, présentée au rez-de-chaussée des "Archives de l'Etat", à Namur, jusqu'au jeudi 23 février.

 

L'originalité de cette exposition est qu'elle nous propose les travaux de photographes de différentes époques, du temps du colonialisme, jusqu'au XXIè siècle, avec une dernière photographe, Bernadette Vivuya, qui se distingue doublement, étant une jeune femme et une Congolaise, vivant dans le Kivu, son regard féminin étant un plus indéniable.

 

1. Joseph Dardenne (1875-1972) :

 

Après avoir étudié au "Séminaire", à Florefffe, à 16 ans, il entre à l' "Ecole régimentaire du 13è de Ligne", à Dinant. En qualité de maréchal-des-logis, il participe à la première guerre mondiale. Blessé, il est soigné au Royaume-Uni et, en 1915, il intègre le "Corps expéditionnaire d'Afrique", en tant que sous-officier mitrailleur.

 

 

En relation avec la "Mission des Pères blancs", à Kabgayi, au Rwanda, il découvre la photographie sur plaque. Présent au Rwanda, de 1916 à 1919 et de 1921 à 1928, il réalise plusieurs centaines de clichés, à travers lesquels il illustre la vie coloniale, mais aussi, les paysages, les peuples et les traditions rwandaises. Certaines de ses photographies sont éditées en cartes postales, par les frères Nels, ou encore reprises, en 1939, comme illustrations de timbres poste rwandais, ce que nous découvrons dans une vitrine présentée au sein de l'exposition, de même que du matériel photographique qu'il utilisa, l'intéressante scénographie nous permettant de découvrir une sélection de ses photographies accrochées dans une tente, semblable à celles qu'il utilisa à l'époque.

 

Parmi celles-ci, notons :

 

- "Portrait d'une Jeune-Femme" (1926), dont l'expression est figée, son sein droit étant dénudé, caractéristique d'une pratique européenne du portrait féminin africain, ... rien ne disant que le modèle y consentait.

 

- "Scène de Coiffure" (1926), où femmes coiffeuses et coiffées se trouvent dans une posture et un environnement artificiels, la rigidité de cette mise-en-scène permettant une grande netteté des gestes et des accessoires.

 

- "Taille d'une Pirogue" (1917), d'une grande longueur, semblant sortir d'une case de "Tintin au Congo" (1931), un Père blanc travaillant activement aux côtés des autochtones.

 

- "Le Photographe dans son Bureau" (1918), un autoportrait particulièrement soigné, au niveau de la mise-en-scène, avec peau de léopard, crâne de lion, ... et fusils, valorisant l'habilité du chasseur colonial.

 

Comme nous le confia le commissaire de l'exposition, François Poncelet, lors de la visite de presse, "Hergé" (Georges Remy/1907-1983) - qui possédait de nombreuses photographies, pour s'en inspirer, afin de pouvoir créer ses dessins - a dû avoir entre les mains des clichés de Joseph Dardenne. Pour preuve, cette incroyable ligne de chemin de fer congolaise, aux multiples courbes, qu'il photographia, que nous croyons retrouver dans une case de ce second album des "Aventures de Tintin".

 

2. Casimir Zagourski (1883-1944) :

 

Photographe autodidacte polonais, ancien officié de l'armée russe, puis polonaise, il découvrit, en 1924, le Congo belge. A Léopoldville, il installe son studio et un magasin d'articles pour photographes. Fin des années '30, il sélectionne environ 450 de ses photographies, qu'il regroupe sous le titre : "L'Afrique qui disparaît".

 

 

Parmi ses clichés, notons des déformations de crânes, tradition heureusement disparue au XXIè siècle, des femmes africaines aux torses dénudés, des corps tatoués, des percussionnistes, des danseurs, des lanceurs de harpons en pirogues, des enfants jouant avec des maquettes de bateaux, des photos de la faune sauvage, ou encore cet amusant portrait d'un chimpanzé, portant des lunettes et un chapeau, une photo appréciée des touristes et des coloniaux

 

3. Pierre Dandoy (1922-2003) :

 

Fils d'Albert Dandoy (1885-1977), peintre et professeur à l' "Académie des Beaux-Arts", à Namur, ce bien connu photographe namurois fut recruté, en 1951 - muni d'un "Leica", son premier appareil photos -, comme photographe de guerre. A son retour en Belgique, il accepta un poste de photographe au service cinématographique de l'armée, à Bruxelles.

 

 

S'étant procuré les meilleurs appareils de l'époque, tels "Rolleiflex", "Hasselblad", "Nikon" & "Nikkormat", devenu sergent, il accompagna, en 1955, un chercheur de l' "Institut des Sciences Naturelles", lors d'une expédition dans la région congolaise de Banana, rencontrant le Roi Baudouin, ce que nous découvrons au sein de l'exposition de "MusAfrica", Pierre Dandoy, réalisant - aux côtés des photos officielles, prises dans le cadre de son travail - des clichés originaux, telle cette photographie centrée sur un charmant petit singe, avec le Roi Baudouin en arrière plan, ou encore, au sein du public, applaudissant le Roi, un enfant regardant directement le photographe.

 

Ainsi, cette visite royale lui donna l'occasion de réaliser des clichés de la foule, l'un d'eux montrant à quel point les coloniaux en désordre devaient être contenus par des soldats congolais de la "Force publique", Pierre Dandoy aimant immortaliser ces réactions spontanées, voire hystériques.

 

 

Notons encore, un autre regard, à Usumbura, Pierre Dandoy saisissant celui d'un danseur portant ses yeux à droite, alors que tous ses comparses regardent droit devant eux. Ayant réussi à saisir, avec netteté, cet instant fugace, il a, ainsi, créé une image très dynamique.

 

4. Angelo Turconi Inzago/1938) :

 

Ayant vécu au Congo, de 1968 à 1987, au service d'institutions publiques, de sociétés d'Etat et privées, ce photographe italien s'intéressa particulièrement aux traditions des peuples, son goût pour les rencontres interindividuelles étant continu.

 

 

Après avoir eu l'expérience, en 1965, d'un long périple en Asie centrale, deux ans lui sont nécessaires pour préparer un voyage encore plus audacieux, à savoir la traversée du continent africain, du Nord au Sud.

 

Devant acquérir un couteux véhicule "Land Roover", il trouva de nombreux sponsors, dont l'éditeur Fernand Nathan, s'étant engagé à produire un livre relatant sa traversée du continent africain.

 

Arrivé au Congo, en 1968, il transforma ce pays de passage en lieu de résidence, y ayant fondé une famille et y demeurant une vingtaine d'années, réalisant de nombreux reportages et publiant différents livres : "Infini Congo, au Rythme de la Nature et des Peuples" (2010), "Sur les Pistes du Congo" (2014), "Les Brasseries congolaises Bracongo Brasimba. Une Histoire du Congo à travers la Bière" (2015), "Les Lunda" (2017), "Au Coeur du Congo" (2019) & "Les Tshokwe" (2021).

 

Focalisé sur le quotidien des Congolais, en dehors des villes, pour réaliser ses photographies, il recherche des "moments de rencontre amicale", qui deviennent des "instants magiques", quand la prise de vue parvient à en dégager toute l'essence humaine, rendant "hommage à la vitalité du peuple congolais", cet aspect documentaire étant indéniable, pouvant, ainsi, servir l'anthropologue ou le sociologue, en dehors de tout voyeurisme, d'indiscrétion ou de quête de sensationnalisme. Ses photographies, qui ne sont pas des "trophées", témoignent bien de moments forts.

 

Parmi ses clichés, notons ce chef d'un village Pende, photographié chez lui, en 2017, dans une mise-en-scène conçue par lui, avec ses attributs traditionnels, mais aussi des références plus modernes. Autre chef, Mongo, quant à lui, se voulant moderne, il est photographié, en 2017, dans son Village de Monkoto, en costume occidental, trônant sur une moto, avec, en contraste, ses attributs coutumiers. Portrait plus simple, cette gardienne d'un Parc national prenant le temps de se maquiller pendant son service.

 

Se définissant comme un "photographe de paix", Angelo Turconi saisit le Congo qui vit, débordant de résilience et en quête continue vers un monde meilleur.

 

5. Bernadette Vivuya Congo/1989)

 

Un monde meilleur que Bernadette Vivuya - une femme, jeune et Congolaise - souhaite également nous montrer, ses photos contemporaines étant tellement éloignées des photographies coloniales de Joseph Dardenne, par ailleurs très importantes pour dépeindre cette autre époque.

 

« Lorsque je travaille, je cherche à donner une image plus complexe du pays et de la région, une image qui représente mieux le Congo et ses habitants ... La photographie permet de montrer 'la réalité multiple' de la RDC  ... Le cœur du Congo continue de battre malgré les épreuves que vit le pays », déclara récemment cette jeune cinéaste-photographe congolaise, la cinquième et dernière photographe exposant ses clichés aux "Archives de l'Etat", siège provisoire du "MusaAfrica".

 

Cette approche féminine du Congo, nous permet des rencontres photographiques avec différentes Congolaises, à Goma, dans l'Est de la République Démocratique du Congo, nous révélant quelle est l'intimité dans l'acte même de se faire photographier :

 

- Lydia Willy Linda, 23 ans : "Quand on m'a proposé de montrer mon corps, mettre ma grossesse en avant est apparu comme une évidence. C'est ma fierté. Je suis heureuse, car d'ici quelques mois, je serai appelée maman."

 

- N'simire Zagabe Sylvie, 28 ans, coiffeuse et esthéticienne, photographiée debout dans l'eau : "J'ai choisi de poser avec des habits qui collent sur mon corps, qui le laissent deviner, mais cachent ce que je souhaite cacher. Je veux mettre en avant les formes de mon corps, ... qui m'appartient et que j'ai choisi de vous montrer ... L'interaction avec la photographe m'a mise en confiance. Je ne m'inquiétais pas du résultat."

- Angela Kipasa, 22 ans, mannequin professionnelle, portant des "zigida" (perles) autour de sa taille : "Poser pour des photographes me donne de la visibilité et de la force. En me faisant photographier, j'ai voulu mettre en valeur ma taille fine et mes hanches."

 

 

 

- Aurélie Maishara Maliro, étudiante universitaire : "Poser en lingerie, avec une veste m'a permis de montrer tout ce que je voulais mettre en évidence sur mon corps, sans que je me sente mal à l'aise."

 

- Keren Rusenya, 16 ans, dans une rue, en robe multicolore : "Je voulais que vous me preniez en photo, ca je suis intéressée et curieuse de votre façon de travailler ... Votre attitude et l'interaction que vous avez avec la communauté qui est curieuse, ne peut qu'inspirer confiance."

 

 

Soulignons que Bernadette Vivuya - qui travaille principalement sur les droits humains, la protection de l'environnement et l'impact des conflits qui touchent sa région - fait partie d'un groupe de photographes, coordonné par le photographe britanniquo-canadien Finbarr O’Reilly Swansea/1971), ayant obtenu, en 2020, avec leur reportage "Congo in Conversation", le 11è "Prix Carmignac de Photojournalisme", un Prix français de photographie, qui fut créé, en 2009, par Edouard CarmignacParis/1947). En outre, elle a, également, réalisé trois courts-métrages.

 

 

Comme l'écrit François Poncelet : "Ce tour de l'Afrique centrale, à travers le parcours de cinq photographes est assurément partiel. Il donne un aperçu restreint de la vaste - presque infinie - production d'images, née avec l'apparition de l'appareil photographique et de ses nombreuse évolutions."

 

 

Ouverture : jusqu'au jeudi 23 février, du lundi au vendredi, de 09h à 16h30, & le samedi 04 février, de 14h à 16h30. Visites guidées : le vendredi 27 janvier, à 12h30, & le mercredi 08 février, à 15h (pour des groupes, possibilités sur demande). Entrée libre. Adresse des Archives de l'Etat : Boulevard Cauchy, 41. Contacts : 0470/92.21.06 & info@musafrica.net. Site web : www.musafrica.net.

 

Yves Calbert,

 

avec des extraits de textes de François Poncelet et de Bernadette Vivuya.

 

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