"Mail Art", Margaret Harrison et autres Expositions, au "BPS22", à Charleroi, jusqu'au 23 Mai

écrit par YvesCalbert
le 09/05/2021

« Quand j’étais professeur à l’ 'Académie des Beaux-Arts', à Namur, outre enseigner les bases, je voulais donner envie à mes élèves d’expérimenter autre chose: dessiner sans dessiner, sculpter sans sculpter. Il y a de multiples manières de le faire. Moi, mes pots de couleurs, ce sont les enveloppes et ce qu’elles contiennent », nous confiait Bernard Boigelot, l'un des artistes exposant à Charleroi, au "Musée d'Art de la Province de Hainaut", plus connu sous le nom de "BPS22", qui nous propose de découvrir plusieurs expositions, jusqu'au dimanche 23 mai.

Sa précédente exposition, en mars 2020, "Le Message c'est le Réseau ! Mail Art"au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris, organisée sous le commissariat de Pierre Olivier Rollin, directeur du "BPS22", avait été arrêtée pour cause de confinement, n'ayant pu accueilir que ... 22 visiteurs.

C'est ce même commissaire qui nous propose, au sein de son "Musée d'Art de la Province de Hainaut", l'actuelle exposition "Merci Facteur ! Mail Art #2", qui réunit, cette fois, deux spécialistes de l'art postal, Eric AdamRocourt/1963) et Bernard Boigelot Namur/1953), qui s'étant connus à Namur, à l' "IATA" ("Institut des Arts Techniques, sciences et Artisanats"), le premier y ayant été étudiant et le second surveillant se retrouvèrent par hasard - mais y a-t-il un hasard - quelques années plus tard, entammant une correspondance artistique assidue.

Si le papa de Bernard Boigelot collectionnait les timbres poste, ce ne fut pas le cas de son fils, qui s'intéressa aux timbres d'une toute autre manière, en réalisant des oeuvres variées, parfois textiles, comme trois robes, réalisées avec des timbres à l'effigie du Roi Baudouin, qui furent portées à l'occasion d'événements, des photos en témoignant au sein du "BPS22".

Nous trouvons, aussi, des timbres détournés, comme plusieurs de ce même Roi Baudouin, dont les cheveux sont portés avec une houppe à la "Tintin". D'autres enroulés sur eux-mêmes, forment des cylindres, présentés dans de petits encadrements.

Cet artiste malonois, en hommage aux estampilles postales disparues des entités belges d'avant 1977, a choisi comme signature de ses oeuvres postales, l'ancien cachet postal de Malonne.

Outre ces accrochages, quatre vitrines, deux pour chacun des artistes, nous présentent des envois exceptionnels, les 9/10è arrivés à destination, quelques-uns, seulement, étant taxés, l'un ou l'autre ayant été retourné à son expéditeur. L'envoi, sans doute, le plus exceptionnel est cette authentique bouillote non emballée, arrivée sans taxe, reliée par un fil à un carton promotionnel de la Poste, mentionnant "La Poste le peut", portant les adresses du destinataire et de l'expéditeur... Pour preuve que "la Poste le peut", l'envoi est arrivé à bon port

Il en est de même pour une petite bouteille d'antigel, ... ce qui, nous confie l'artiste, ne devrait plus être admis aujourd'hui, pour des raisons de sécurité. De même pour une autre enveloppe qui était recouverte de ... pétards, un seul ayant explosé avant d'être réceptionnée par son destinataire.

Et que dire de cette enveloppe, qui, sous du papier collant le recouvrant, présentait, en 1986, un minuscule avion bleu, petit jouet d'enfant, Bernard Boigelot, son expéditeur, nous précisant : "Mon envoi, le premier destiné à Eric Adam, me fut retourné, sans être taxé, au sein d'une enveloppe postale, avec un mot du percepteur m'expliquant de ne pas inclure un objet pouvant blesser les facteurs."

De ce minuscule avion passons à la "NASA" ("National Aeronautics and Space Administration"), avec un timbre spécial de 1992 - transformé en vignette -, nous présentant trois astronautes s'étant envolé vers la lune, le seul visage de Dirk Frimout étant maintenu, les deux autres têtes étant remplacées par celles du sculpteur namurois Michel Scheer (1937-2016) - réputé pour ses "casseroles de l'espace" - et de Bernard Boigelot. Ce pli postal fut renvoyé à ce dernier, sans taxe, ce timbre "trafiqué" ayant été refusé à l'oblitération...

... De la conquête de l'espace, revenons sur terre ou plutôt dans l'eau avec une enveloppe ... amphibie, que son auteur nous commente : "Datée de 1990, il s'agit d'un courrier manuscrit dont l'enveloppe timbrée est constituée de deux feuilles de silicone, matière connue pour son imperméabilité à l'eau, ce projet consistant à jeter cette lettre dans la Meuse, telle une bouteille à la mer, afin d'être acheminée vers la Mer du Nord, espérant qu'une fois trouvée elle me soit réenvoyée, mon adresse étant celle du destinataire, ... une intention abandonnée, par soucis écologique, trop de détritus étant chariés par ce fleuve tant apprécié des peintres, de Félicien Rops à nos jours."

Autre curiosité, appelée "boomerang", une enveloppe exposée au "BPS22", avec deux adresses. Au départ, elle partait de France, estampillée à Perpignan. Au retour, l'adresse belge étant barrée, l'adresse française était bien placée à la droite, surmontée par deux jolis timbres belges "Europa", à l'effigie de "Tchantchès", le premier expéditeur recevant donc sa lettre en retour, tel un "boomerang" revenant à son expéditeur.

Curieux, aussi, un timbre artisique, créé par l'artiste malonois, présentant un Pharaon, dont la tête a été remplacée par la sienne, la valeur postale étant exprimée en ... pyramides, au lieu de francs belges ou d'Euros, ces enveloppes, pour pouvoir arriver à destination, portant également, bien sûr, un authentique timbre belge.

Bernard Boigelot utilse, aussi ses talents de peintre, de dessinateur, pour décorer ses enveloppes, de reproductions de "Sherlock Holmès", de la Statue de la Liberté, de poissons, …

Notons que ces défis postaux, exposés au "BPS22", ne se limitent pas à l'Europe, quelques enveloppes étant postées du Texas ou envoyées vers les Etats-Unis.

Mais à notre question de comprendre pourquoi Bernard Boigelot se passione autant pour des envois postaux, devenus nettement plus rares au XXIème siècle, il nous répondit : "Il y a tous les fragments d’ADN, avec la salive ayant servi à coller le timbre, le rabat de l’enveloppe. Internet a démoli cet aspect, tout le monde ayant la même empreinte numérique. Avec les SMS, il y a une perte de mémoire, d’authenticité. J’aime recevoir du courrier et en envoyer. Il n’y a pas besoin de batterie pour cela. Puis, il y a cet effort pour séduire, interpeller. J’aime aussi réexpédier des lettres… »

A la question d'apprendre l'origine, chez lui, de ce type d'expression artistique, il nous répond : « J’avais gardé tout mon courrier dans le grenier de la maison de mes parents. Âgé de 15 ans, je m’apprêtais à tout détruire, quand je me suis dit que je leur accorderais bien une seconde vie, vu que je ne comptais plus les relire. »

A Jambes, le 23 février 2020, à la "Tour d'Anhaive" - un lieu muséal abritant des collections de la "Société archéologique de Namur", alors qu'il exposait au sein de l'exposition "Résonances", avec des membres de l'asbl "Arts Emulsions" -, il nous avait confié : « Depuis de nombreuses années, toute mon activité artistique se réalise en étroite relation avec des correspondances postales, qui, une fois récupérées, sont utilisées dans mes recherches plastiques, afin de sacraliser cette trace humaine en une œuvre d’art… »

Mais pourquoi tous ces timbres de Baudouin et aucun du Roi Philippe : "Simple, ces derniers sont autocollants et donc irrécupérables pour mes travaux, alors que ceux de son oncle, utilisés à des centaines de milliers d'exemplaires durant mon enfance, étaient gommés, m'offrant donc la possibilité des les utiliser."

Notons que ce "Mail Art” est traditionnellement attribué à l’artiste américain Ray Johnson (1927-1995), qui, en 1962, créa la "New York Correspondance School", où il enseignait différentes techniques utilisées pour personnaliser les envois, tel le détournement des timbres poste et des estampilles postales, les enveloppes devenant de véritables moyens d’expression, en faisant des créations uniques, qui - partagées gratuitement, sans préoccupation mercantile - sont décorées de collages, dessins, photographies ou d'objets, certains pouvant être expédiés tels quels, sans enveloppe.

De son côté, Eric Adam ne se limite pas d'envoyer une lettre incluse dans un tube de colle évidé ou de créer des enveloppes poétiques, largement empreinte d’humour, mettant à l'épreuve les institutions postales, puisqu'il édite, également, des mini ouvrages, certains étant exposés dans les deux vitrines qui lui sont consacrées au "BPS22".

Des timbres utilisés par Eric Adam et Benoît Boigelot, passons à ceux ornant une oeuvre imposante de l'artiste féministe britannique Margaret Harrison Wakefield/Yorkshire/1940), invitée d'honneur à Charleroi, son exposition s'intitulant "Danser sur les Missiles", ce titre faisant référence au "Greenham Common Women’s Peace Camp" (1981-2000), un campement essentiellement constitué de femmes, qui protestaient pacifiquement contre l’installation de missiles nucléaires américains sur la base de la "Royal Air Force Greenham Common", au sud du Royaume-Uni. En 1982, 30.000 d’entre elles se mobilisèrent pour une marche. Se tenant les mains, elles avaient formé une chaîne qui encerclait les 15 kilomètres du périmètre du camp militaire, avant de s’y introduire et de danser jusque sur les silos abritant les têtes de missiles.

Ainsi, la première salle du "BPS22" nous plonge au sein de ce camp, avec son installation artistique centrée sur un grillage métalique, qui, recouvert de fils barbelés, porte nombre de symboles de l'idée machiste traditionnelle du rôle de la femme dans notre société, casseroles et autres, un landeau étant posé à l'avant plan ...

Afin de faire davantage sa connaissance, nous nous devons de regarder, au 1er étage, une intéressante vidéo, dans laquelle elle décrit, notamment, les mésaventures de son oeuvre "Bunny Boy", censurée dans une exposition, volée et, probablement, détruite, mais dont une réplique est exposée au "BPS22"montrant sa féminisation des corps d’hommes, en inversant les structures de pouvoir véhiculées par notre société.

Figure influente de l’art féministe, Margaret Harrison mène, depuis plus de 50 ans, une réflexion croisée sur les notions de classe et de genre. Pratiquant art et activisme, cette artiste s’attache à rendre visibles les formes de domination, qui se manifestent dans les sphères professionnelles et domestiques, tout comme dans l'histoire de l'art et la culture populaire. Des figures de super-héros issus des comics nord-américains - comme "Captain America", illustrant l'affiche du "BPS22" - à son interprétation de l’ "Olympia", d'Edouard Manet (1832-1883), elle défie, avec humour, les structures de pouvoir véhiculées par la société et les médias, tout en reprenant à son compte des stratégies du grotesque comme l’exagération, la parodie et la subversion.

Nourrie de considérations sociales et politiques, sa pratique est également documentaire. Élevée dans une Angleterre berceau des mouvements syndicaux, de l'établissement des droits des travailleurs, et des suffragettes, qui inventèrent la désobéissance civile en tant qu'outil de combat pour les droits des femmes, Margaret Harrison s’inscrit naturellement dans la continuité de ces luttes, mettant son travail artistique au service du féminisme.

Grâce au "BPS22", pour la première fois en Belgique, nous pouvons admirer la diversité de ses pratiques, des dessins, d'une grande finesse, aux instalations, qui dérangent, en passant par ses peintures et textes.

A découvrir sa série sur les hamburgers, appréciée par les uns, révoltant les autres, ... la femme demeurant au centre du sujet ...

Notons que la "Tate Gallery" n'avait pas autorisé l'accrochage de l'une des trois oeuvres qu'elle prétait au "BPS22", "Son of Rob Boy", pour un problème de taux d'humidité, rapidement réglé par l'équipe technique de ce musée.

Soulignons ce que Margaret Harrison continue d’affirmer, à 81 ans : "L’art doit être politique, sinon rien !"

Retour avec des artistes ayant créé leurs oeuvre à Namur, en évoquant un collectif singulier dans le panorama belge, actif de 1975 à 1977, "Rupz", leur exposition, la première leur étant consacrée, étant intitulée "Rupz - Des Fous qui seront des Classiques".

Formé à Namur, à la fin des années '70, par Marc Borgers (°1952) et Jean-Louis Sbille (°1948), rapidement rejoints par Anne Frère, le groupe "Ruptz" a connu une existence aussi intense qu'éphémère. Se réunissant, à l'origine, en un lieu namurois, mythique à l'époque, le "Puit Connette", en un peu moins de deux années, ce groupe produisit une série d'interventions artistiques à la croisée de pratiques alors totalement émergentes : "Video Art", performance, "Body Art", multiple photographique, édition d'artiste, art sociologique, voire esthétique, de la communication.

Il pouvait s'agir de noter l'heure pendant une journée, de soumettre le corps à des amplifications sonores, d'effectuer des enquêtes sociologiques identitaires, d'éditer des publications, ... Par la suite, le groupe s'installera à Bruxelles et publiera les dix numéros de la désormais mythique revue "Soldes. Fins de Séries", considérée comme l'équivalent belge des productions du collectif français "Bazooka".

D'une radicalité sans égale, en Belgique, parfois proches de celles d'artistes comme les Américains Dan GrahamUrbana/Illinois/ 1942) ou Vito Acconci (1940-2017), les interventions accomplies sous le nom de "Ruptz" ont été vécues, par leurs auteurs, comme des nécessités vitales, indépendamment de l'écho qu'elles pouvaient rencontrer ou de la postérité qu'elles pouvaient légitimement engendrer. Partant du principe que "le passé n'a plus à être partagé", ces artistes n'ont accordé aucune importance à la conservation des traces tangibles de leurs actes, ni de leurs documents. Ce n'est qu'il y a quelques années que le "BPS22" a pu retrouver les archives des actions de ce trio d'artistes : des croquis préparatoires, photographies et autres étant rassemblés dans des cadres en aluminium, à la manière de l'art conceptuel de cette période, un film Super 8 étant projeté en boucle.

De Russie, nous vient , présentant son exposition "Perftoran", Petr Davydtchenko Arzamas/1986). Né dans une ville militaire fermée, il a grandi à Saint-Pétersbourg, où il a découvert la violence des groupes d'extrême droite, avant de prendre la direction de l'Union Européenne, où il a développé une pratique artistique radicale. Il a notamment vécu deux ans en se nourrissant exclusivement de fruits et légumes glanés et de dépouilles d'animaux, tués sur les routes. Ce mode de vie était pour lui un acte de résistance à l'économie de l'excès, une alternative utopique à la surproduction industrielle. Une partie de ce travail avait été présentée au "BPS22", en 2019, lors de l'exposition collective "Us or Chaos".

Lors du déclenchement de la pandémie de coronavirus, il s'est interrogé sur le rôle que pouvait jouer un artiste dans une telle situation. Il a alors décidé de consacrer toute son énergie et sa créativité à la recherche d'un vaccin contre la "Covid". S'entourant de scientifiques, lisant de nombreux comptes-rendus médicaux, transformant l'espace d'exposition italien du "Palazzo Lucarini Centro per l'Arte", à Trevi, en laboratoire médical, il s'est donné tout entier à cette nouvelle utopie, promettant une diffusion gratuite de son éventuel vaccin. En assumant toutes les conséquences de sa quête, il a subi poursuites judiciaires pour exercice illégal de la médecine, pressions diverses, censures sur les réseaux sociaux, ... C'est l'état actuel de cette recherche utopique qui est présenté au "BPS22".

Pour en revenir au titre de l'expo, signalons que le "Perftoran" est un sang synthétique, mis au point en URSS, à la fin des années 70, interdit par les autorités soviétiques et finalement commercialisé par une société privée américaine, depuis les années 2000.

Nous sommes bien loin ici du "Mail Art" cher à Eric Adam et Bernard Boigelot, mais cet éclectisme artistique ne peut que nous motiver à découvrir les expositions actuellement présentées au "BPS22", proche du "Palais des Beaux-Arts" de Charleroi.

Ouverture : jusqu'au dimanche 23 mai, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d'entrée : 6€ (4€, pour les seniors et les membres d'un groupe de 10 personnes / 3€, pour les étudiants et les demandeurs d'emploi / 1€25, pour les "Art. 27 / 0€, pour les moins de 12 ans. Réservations obligatoires : via le site web ou au 071/27.29.71. Site web : www.bps22.be. Régles sanitaires obligatoires : port d'un masque bucal et respect d'une distanciation physique d'1m50 entre les "bulles" sociales.

Yves Calbert.

  • © Margaret Harrison © Serge Hasenbohler "BPS22"
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