Lecture- promesse de saison : « Simples histoires de simples » de Judith Boulène

écrit par Anonyme (non vérifié)
le 23/03/2010

Adossée au saule du jardin, toute encouragée par la lumière printanière, j’ouvre le livre de Judith Boulène « Simples histoires de simples » et je m’évade au cœur d’une promenade de fleurs, d’herbes et de plantes. Je consulte au hasard : Julienne, Chenopode Bon Henry, Aubépines et bien d’autres énumérés d’entrée de jeu dans une table des matières abondante sans être indigeste. « Consulter » comme on se mettrait en quête d’un naturel remède pour un mal tenace, ou d’une recette, savoir ancestral de nos grands-mères. Consulter comme se documenter aux sources d’une mine encyclopédique. Chaque plante est ici nommée, décomposée, localisée, identifiée…en un mot percée de ses mille secrets, qu’ils soient botaniques, chimiques, géographiques ou historiques. Chacune des cartes de visite se termine par un détour du côté de la littérature populaire : contes, légendes, histoires ou poèmes, nous rappelant notre toute proche (quoiqu’oubliée pour certains) parenté avec le monde végétal.
Si vous aussi vous souhaitez vous adosser à cette lecture florale, le livre vous attend à la boutique de l’Abbaye de Stavelot ou encore auprès de Judith Boulène à Wanne, 3, 4980 Trois- Ponts, tel. : 080/64 35 05.
Quant au tronc, à vous le choix !
L’auteure effeuille ici pour nous un pétale de son ouvrage :

CHEVREFEUILLE DES BOIS
Nom latin: Lonicera Periclymenum L.
Noms populaires : Herbe à la Vierge, Périclymène, Barbe de chèvre, Broute biquette.
Famille: Caprifoliacées
Habitat: Toute l’Europe, lisières des bois, terrains argileux, haies. Jusqu’à 1000m.
Composition : Acide salicylique, mucilage, essence, glucoside.
Propriétés : Antiseptique, astringent, détersif, diurétique, sudorifique.
Parties utilisées: Feuilles, fleurs (juin à juillet). Séchage à l’ombre.
Identification: 1 à 5m. Arbrisseau grimpant. C’est une liane sarmenteuse : sa tige d’abord rougeâtre puis ligneuse, s’enroule vigoureusement en spirale dans le sens dextrogyre, pouvant entraîner l'étranglement de la plante support. Comme tous les lonicera, l’écorce des vieilles tiges se détache en longues lanières. Tige volubile ; jeunes rameaux pubescents au sommet ; feuilles opposées, courtement pétiolées, les supérieures sessiles, caduques, ovales, plus pâles dessous. Fleurs ivoire, teintées de rouge (juin à septembre), sessiles, groupées en tête terminale pédonculée, calice court à 5 dents, corolle en tube allongé, partie supérieure élargie en deux lèvres, la supérieure à 4 lobes courts, l’inférieure entière, 5 étamines. Baie rouge, ovoïde, à plusieurs graines ; racines possédant des bourgeons adventifs. Odeur agréable.

Attention ! Ne pas consommer les baies : toxiques ! Troubles digestifs, nerveux, cardiaques occasionnellement mortels

A travers l’histoire.
Son écorce fut utilisée durant toute l’Antiquité égyptienne, grecque et romaine ; c’est à partir du Moyen Age que l’on en fit plus grand cas.

Et aussi… Le chèvrefeuille peut vivre jusqu’à 40 ans. On peut tout aussi bien utiliser le chèvrefeuille des bois que le chèvrefeuille commun (Lonicera caprifolium L.) qui s’échappe souvent des jardins.
Il est faux d’affirmer que les chèvres ont une prédilection pour les feuilles de cette plante. Certes les pousses tendres sont appréciées par les caprins mais au début du printemps lorsque aucun autre arbuste n’est encore couvert de feuilles : les bourgeons minces et effilés sont fréquemment ouverts, même en hiver, de telle sorte que l’on peut déjà apercevoir l’extrémité des jeunes pousses vertes.
Le nectar ne peut être butiné que par des insectes munis d’une longue trompe et notamment par les papillons de nuit du groupe des sphinx car le parfum intense que dégage la plante dès la tombée du jour les attire de très loin.

Symbolisme : La plante symbolise le lien puissant qui attache une personne à une autre. Marie de France (poétesse médiévale du XIIe siècle) analyse l’amour courtois et écrit des nouvelles en vers inspirées des légendes celtiques ou bretonnes, qu’elle appelle « lais ». Le plus célèbre est celui du chèvrefeuille, qui évoque l’amour profond qu’éprouvait Tristan pour Yseult.
Belle amie, ainsi est de nous
De nous deux, il en est ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier se prenait.
Quand il s’est enlacé et pris
Et tout autour le fût s’est mis,
Ensemble ils peuvent bien durer.
Qui les veut après désunir
Fait bientôt coudrier mourir
Et le chèvrefeuille avec lui.
Belle amie ainsi est de nous
Ni vous sans moi, ni moi sans vous

JUSQU'A LA FIN DES TEMPS
Il était une fois, une jeune et jolie chèvre. Son poil long et soyeux avait la teinte de l’ivoire le plus pur. Elle était perchée sur de longues et fines pattes qui faisaient danser chacun de ses pas. Ses grands yeux en amande brillaient comme étoiles noires dans ciel de crème. Deux cornes ancrées au sommet de son crâne montaient fièrement vers le ciel, attirant dans son esprit calice les bienfaits des ondes célestes. Cette beauté, malgré son jeune âge, portait en elle la sagesse universelle, sagesse que notre monde préfère ignorer.
Le gardien du troupeau dans lequel vivait la chèvre, se berçant de lectures médiévales, avait trouvé la bête si belle qu’il l’avait appelée…Iseult. Et lui, devinez un peu quel était son prénom ! Eh oui, Tristan évidemment.

Tristan, pendant ses longs mois de solitude dans les montagnes, aimait s’installer au milieu de son troupeau et se perdre, pour de longs rêves, dans les étoiles de jais d’Iseult. Elle, stoïque, le laissait errer dans son monde intérieur, voyager dans ces vastes étendues où défilaient les images d’une évolution terrestre faite de paix et de chaos.

Cette jeune chèvre, suffisamment mature pour accepter le bouc n’en attirait aucun. Tout autre berger s’en serait débarrassé. Que faire d’une chèvre qui ne donne ni chevreaux ni lait ? La manger ? Ah sûrement pas ! Pas Iseult !

Les années passèrent. Tristan aurait dû depuis longtemps prendre femme mais n’en avait cure. Quelques unes, et pas des moins jolies, lui avaient fait oeillades et ronds de jambes ; pensez, un si beau jeune homme, sobre, fort, et à la tête d’autant de bêtes. Il n’en avait repoussé aucune, mais ne les avait pas plus invitées.
Une chose intriguait aussi les villageois : depuis toutes ces années, cette chèvre qui accompagnait partout Tristan n’avait pas l’air de vieillir. Et de plus, dans le troupeau, jamais il ne montrait les chevreaux qu’elle aurait dû lui donner. Pourtant il aurait pu les vendre à bon prix vu la beauté racée de leur mère, alors qu’elle idée de garder une chèvre qui ne rapporte pas ! Bien sûr des propos grivois sur les relations de Tristan et Iseult étaient parfois échangés autour de quelques verres, les mégères s’en régalaient.

Mais laissons les villageois à leurs mauvaises langues, retournons dans la montagne. N’allons pas bien haut, ce n’est pas nécessaire.
Tristan et son troupeau, en route comme tous les ans, s’étaient arrêtés pour leur nuit sous les étoiles. Le berger aimait le lieu de cette halte qu’il ne manquait jamais. Ici le chèvrefeuille était roi. Il rampait au sol ou grimpait à l’assaut des ruines de l’ancienne ferme et surtout, surtout, embaumait la nuit et les rêves. De cette ruine restait encore intact le porche de la maison, assez profond pour y accueillir le corps allongé de Tristan.
Ce porche, depuis bien longtemps, résistait aux assauts des vents, des pluies, et du chèvrefeuille qui n’osait l’étrangler. Ses pierres lisses brillaient sous la rondeur de la lune et l’on voyait dans cette clarté diffuse des centaines de papillons nocturnes voleter en silence. Tristan s’endormit dans ce cocon serein et parfumé.
Au petit matin, il fut réveillé par les hurlements que faisait le vent en s’engouffrant dans le porche et par les bêlements de ses chèvres. Aussitôt debout il fut étonné de voir le troupeau rassemblé autour d’un chêne étouffé par le chèvrefeuille. On aurait dit que l’arbre parlait à ses bêtes, qu’elles écoutaient et répondaient à ces paroles. Grande fut sa surprise mais encore plus grande sa déconvenue lorsqu’il s’approcha, écarta les chèvres, et vu Iseult gisant au sol. Son poil ivoire avait pris la teinte rosée des fleurs odorantes. Ses fines cornes partaient en lambeaux comme le vieux tronc qui assaillait le chêne. De la bouche de la chèvre quelques fruits rouges, secs et à peine mâchés dépassaient.
- « Iseult, cria Tristan, mais qu’as-tu fait ? Où as-tu trouvé ses baies vieilles de l’an passé ? Oh Iseult, pourquoi en as-tu mangé ? »
Bien sûr la chèvre ne répondit pas, mais de ses yeux étrangement brillants fixa Tristan d’un regard calme.
Celui-ci, larmes roulant sur les joues, prit Iseult dans ses bras et s’assit au pied de l’arbre moribond. Il resta là à bercer son amie jusqu’à ce que le soleil soit déjà haut dans le ciel. De sa bouche, incessante, une litanie sortait : « douce Iseult, blanche Iseult, compagne de tant d’années, de tant de solitude, de tant de rêves, ne me laisse pas, vit encore pour moi ». Puis ses paupières s’alourdirent, son corps se détendit, et il s’endormit.

Tristan rêvait. Tristan entendait une voix claire et chantante lui chuchoter à l’oreille des mots qu’il ne comprenait pas. Tristan sentait sur sa joue la caresse d’une chevelure de soie. Tristan serrait dans sa propre main une main tiède et souple. Tristan rêvait d’un doigt dessinant le contour de ses lèvres et d’une bouche fraîche y déposant un baiser. Tristan rêvait et souriait. Puis, peu à peu, il reconnu les mots que l’on prononçait près de lui : « Tristan, réveille toi. Tristan, je suis là, regarde moi ».
Le berger, péniblement, ouvrit les yeux et ne crut ce qu’il voyait. « Je rêve encore » se dit-il.
A genoux, devant lui, se tenait une jeune femme enveloppée de la fourrure de sa chèvre. La peau lisse de son visage avait ce teint ivoire qu’il connaissait si bien. Les yeux dans lesquels il plongeait son regard étaient les étoiles noires qui l’avaient tant fait voyager. Les cheveux blonds avaient le reflet blanc des cornes si longuement caressées.
- « Mais…quel est ce prodige ? Où est ma chèvre ?
- Tristan, je suis Iseult, je suis ta chèvre. La tendresse, le respect et l’amour dont tu m’entoures depuis tant d’années ont fait réfléchir les dieux qui avaient décidé de ma protection en me faisant chèvre de ton troupeau plutôt que femme. Ils se sont rendu compte que tu es le seul homme qui jamais ne me tromperait, qui toujours me respecterait, et qui jusqu’à la fin des temps m’aimerait.
- Jusqu’à la fin des temps ?
- Oui, car déesse je suis, dieu tu es devenu.
- Dieu ?
- Oui… mais réveille-toi ! Je suis la déesse des chèvres, et toi tu es maintenant le dieu protecteur des bergers. Cela te convient-il ?
- Des bergers ? »
Dans un éclat de rire, Iseult enserra Tristan de ses bras et lui offrit son premier baiser d’amante.

Plus jamais les gens du village ne virent le berger accompagné de sa chèvre sur qui l’on fit, avec le temps, une chanson bien paillarde que je vous cacherai.
Mais peu importe à Tristan et Iseult ce que l’on chante dans les vallées. Leur vie est bercée par le vent et le chant des oiseaux, le ciel étoilé est leur toit, et les cimes des montagnes leur château. Et le troupeau ? Il vit avec eux, et s’agrandit d’année en année. Si vous regardez les nuages qui courent au dessus de vos têtes vous aurez sûrement la surprise, de temps en temps, d’y voir un chevreau bondissant. Si, si, soyez patients, et vous verrez !

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