Police et contrôle social au Japon - Chikao Uranaka

écrit par RobertMARY
le 30/05/2022

L'évolution du rôle de la Police au Japon depuis sa création jusqu'à nos jours, voilà ce que nous propose cet ouvrage de Chikao Uranaka.

L'ouvrage ravira trois types de public: les historiens, les sociologues et les criminologues.

Le livre se décompose en trois parties: l'histoire de la police et du système de sécurité, la description de la police et du système de sécurité contemporain, et enfin le rôle effectif de la police et sa contribution au contrôle social.

Voici selon moi la conclusion de cet ouvrage en quatre points :

"Le passé permet de comprendre le présent.

  1. Le contrôle social formel et informel a toujours existé au Japon, de tous temps ;
  2. La police japonaise s’est construite sur base des modèles européens dans un contexte de modernisation lors de l’ère Meiji. Ces modèles ont privilégié le rôle politique de la police (assurer la stabilité du régime) plutôt que son aspect de « régulation de la vie sociale » (maintien de l’ordre) et de « sécurité de la vie quotidienne » (sachant que ces deux aspects étaient déjà couverts par le contrôle social informel) ;
  3. Les évènements politiques précédant et post-seconde guerre mondiale expliquent les réformes de la police en 1947 et 1954 (décentralisation et démocratisation) ;
  4. Le passé récent (nombre de cas de délinquance et diminution du taux d'élucidation des enquêtes policières fin des années 90) explique le retour à une police communautaire de proximité. Les japonais éprouvent dès lors un sentiment grandissant d’insécurité, ce sentiment est à la fois objectif (basé sur des faits réels) et subjectif".

L'affaiblissement du contrôle social informel (la moindre influence des traditions causée par un individualisme exacerbé issu de l'urbanisation et de la mondialisation) rapproche en quelque sorte le Japon des autres pays occidentaux par l’expérience de problèmes de sécurité communs (mais sur une plus longue période de temps que l’Occident) : l'augmentation de la délinquance imposant un recours grandissant au contrôle social formel (de type judiciaire ou policier). La réputation du Japon comme « société la plus sûre du monde » s'en est trouvée ébranlée. Le mythe de la sécurité s’est effondré depuis le séisme de Hanshin et Awaji le 7/01/1995 et l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo le 20 mars de la même année.

Le livre évoque le rôle de la police politique (kenpeitai) pendant la seconde guerre mondiale, le rôle croissant des femmes dans la police, les difficultés du métier de policier, le pouvoir d'appréciation discrétionnaire du policier, le développement croissant de la police de proximité, le contrôle social informel (la surveillance mutuelle héritée de la mentalité japonaise: le conformisme social régulateur et l'autodiscipline individuelle), le sentiment d'insécurité au Japon et ses multiples causes (malgré un taux de délinquance bas -comparativement aux USA et aux pays de l'ouest européen- mais ne cessant de croître), le rôle de la mafia japonaise dans la médiation lors de conflits entre citoyens, la fonction de détective privé au Japon, le rôle des forces d'autodéfense et leur (parfois manque de) collaboration avec la police, les avantages de la justice réparatrice en comparaison de la justice pénale classique, et bien d'autres sujets passionnants.

J'ai adoré certaines anecdotes, ainsi un policier prend une étudiante en stop pour lui permettre d'arriver à temps à son examen, le policier expliquant que l'avenir de l'étudiante dépendait de son examen, dès lors le rôle de la police est aussi de contribuer au meilleur futur possible pour chaque citoyen.

J'ai aussi appris que les mafia japonaise (yakuza) s'est battue aux côtés de la police contre la mafia coréenne qui assaillait le commissariat de Shibuya à Tokyo en 1946. Cette affaire contribua à la réforme de 1947 de la police visant à la renforcer (car trop affaiblie depuis 1945 par les USA, forçant la police militaire américaine à intervenir suite au manque d'effectifs japonais) et surtout à la démocratiser.

Ce livre comprend de nombreuses informations peu connues en Occident.

Vu la mauvaise réputation de l'armée à l'époque, c'est la police qui géra l'affaire Bolenko (le pilote soviétique qui fit atterir son MiG 25 sur l'aéroport de Hokkaido) et empêcha les forces d'autodéfense d'intervenir.

Pour des raisons institutionnelles, la force d’autodéfense ne peut pas exercer de fonction de police en mer. Ce rôle est confié à l’Agence de la Sécurité maritime, mais celle-ci ne peut en aucun cas avoir un caractère militaire. Les agents de sécurité maritimes sont exclusivement des civils (à l'inverse des US Coast Guards qui peuvent être civils ou militaires) alors que l'agence a pourtant été fondée sur le modèle des gardes-côtes américains. 

Mon seul regret: le livre est publié en 2010 (les statistiques les plus récentes datent de 2007), or le Japon a encore changé en 12 ans. J'aurais espéré une mise à jour.

Bref ce livre est une mine d'or pour qui s'intéresse à la police japonaise et à la mentalité de ce pays!

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