Houffalize. Offensive. Conte. 7e chapitre. Hans, Félicité et Perpétue

écrit par ReneDislaire
le 17/01/2020

Houffalize. Offensive. Conte historique. 7e chapitre. Hans, Félicité et Perpétue. La fin de l'histoire
Le 5 janvier 1945 au matin, Hans et Joseph Ricaille se rencontraient au Crucifix, le carrefour au bas de Houffalize.
Hans lui remit le présent bourré des copeaux emballé dans du papier kraft tout chiffonné.

Apparut Mademoiselle Choffray.
Mademoiselle Choffray était la présidente de la Croix Rouge. Belle femme au port comme aristocratique, elle donnait l’image de la bienveillance et de l’autorité naturelle.
Durant toute l’offensive, elle dirigea la Croix rouge avec maestria. D’une influence discrète, elle connaissait tout de la clandestinité. Respectée de tous, elle parlait d’égal avec les officiers allemands.

Joseph Ricaille avait obtenu de Mademoiselle Choffray que ce soit elle qui remette en main propre la figurine du roi mage à Félicité, qu’il avait prévenue. « Mademoiselle Choffray voudrait te parler demain matin, tiens-toi prête ».
Tout en affaire, la mère de Perpétue attendait à l’entrée de son abri.

Joseph précédait celle qu’il présenta en sa qualité de présidente de la Croix Rouge, ce qui accrut le trouble de la jeune femme.
« Voilà, Félicité, j’ai un cadeau pour l’Épiphanie de la petite. Je l’ai reçu il y a quelques jours, et je me suis dit que ça lui revenait. À elle et à vous. Vous êtes une femme méritante exemplaire, et d’autant plus que vous vivez une situation encore plus pénible que les autres, étant donné l’infortune de votre mari ».
Félicité ouvrit le paquet. Un joli roi mage brillant neuf, vêtu d’une mise couleur ocre et survêtu d’une grande cape en velours pourpre. La couronne était classique : des petites pointes jaune or pour cerner la tête.
Toute émue elle appela Perpétue. Perpétue n’avait jamais vu Mademoiselle Choffray de tout près. La mère rendit la poupée à la notable houffaloise, afin que la gamine reçût la figurine comme remise par la prestigieuse reine Élisabeth.
- Perpétue, je te remets une figurine d’un roi mage, c’est la fête des rois demain. Comment l’appelleras-tu ?
- Balthazar, à cause de la myrrhe, répondit l’enfant.

Joseph Ricaille, homme d’une grande culture biblique, pensa : « pourquoi donc sans hésiter a-t-elle choisi le roi qui offrit de la myrrhe à Jésus ? ». Le symbolisme de cet onguent lui inspira une réflexion qu’il considérera plus tard coupable : la myrrhe chez les juifs était un onguent dont on oignait les agonisants afin d’alléger leurs souffrances, et aussi afin de les embaumer pour leur voyage vers l’au-delà. Le Jésus enfant n’aurait pu faire usage de myrrhe qu'avant la crucifixion, quand on lui en offrit à boire, coupée de vin.

La mère, toute secouée, fit la formule de circonstance : «tu pourras bien y faire attention ».
De loin, Hans avait suivi la scène, confondant dans son regard humide la petite Perpétue et sa fille Greta.
***
C’est le lendemain matin 6 janvier qu’eut lieu le grand bombardement. Une lumière dantesque apparut et tout flamboya. Un séisme de fin du monde. Le vacarme des trompettes de l’apocalypse se faisait écho d’un coteau à l’autre de la ville. Le solennel chaos du jugement dernier s’accomplissait.
Couchée sur sa couverture, Perpétue prononça les invocations suivantes, propres aux Houffalois, propres aux enfants houffalois :
Notre-Dame de Forêt, priez pour nous
Notre-Dame de Beauraing, priez pour nous
Notre-Dame de Fatima, priez pour nous.

Elle n’aura pu faire attention à son roi mage que moins de 24 heures. Un souffle violent passa, qui paisiblement fit rendre l’esprit à la gamine.

Sa mère Félicité ne s’en aperçut pas, aveuglée par des flammes foudroyantes, empêtrée dans la chaleur de la fournaise, la gorge encombrée de fumées corrosives qui gagnaient ses poumons.
Dans la cave tous les diables de l’enfer étaient déchaînés. Félicité se tordait, Félicité se contorsionnait, Félicité hurlait, tandis que la mort faisait son œuvre. Oh ! comme elle avait hâte qu’elle l’embarque, la mort, vers une autre rive !
Cela prit une demi-heure pour que sa vie se consume. Pour qu’elle ne souffrît plus.
***
Au sommet de Saint-Roch, la DCA de la Wehrmacht venait d’abattre un avion allié. Aussitôt la Royal Air Force se mit à la pilonner d’un tapis de bombes, à la mitrailler de toute l’énergie de ses tirailleurs vindicatifs.
Quand Hans tomba, le visage défoncé, sa tête ne tenait plus que par les vertèbres. Un shrapnel fit jaillir ses viscères. Un autre lui arracha les deux mains.
L’organiste de Hanovre demeura à l'abandon gisant couvert de neige des semaines et des semaines. Quand on recueillit ses restes, rien ne permettait plus d’identifier de qui il s’agissait.

On l’inhuma bien plus tard au cimetière allemand de Recogne près de Noville.
Sur la croix de son lopin de tombe il est écrit :
« Nur von Gott bekannt »
« Ici repose un homme dont
Dieu seul connaît le nom
»
***
René Dislaire © Houffalize, le 17 janvier 2020

Houffalize. Offensive de 1944/1945. Conte.
Hans, Perpétue et Félicité. Liens vers les 7 chapitres.

* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 1. Les trtibulations de Hans en Europe
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 2. Hans prend ses quartiers à Houffalize
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 3. L’allemand Hans sous les bombardements
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 4. Le SS doryphore
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 5. Hans et la petite Perpétue
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 6. Hans et Sepp croisent deux connaissances
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 7. 6 janvier 1945. Fin

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